Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gnent de la proie qu’elles ont sous leurs pieds; quel ennemi suis-je pour toi? L’humble colline n’est pas le théâtre des combats de Borée; le feu du ciel ne s’arrête point sur la tête du saule, et le dieu du tonnerre n’honore point de ses traits la bruyère rampante; il faut aux coups de la foudre les grands chênes et les ormes séculaires... Que la ville d’Alexandrie, notre commun berceau, entende ma plainte; que Pharos, signalée de loin par les navires, soit émue de mes vers; que le Nil, élevant au-dessus des flots sa face baignée de larmes, pleure mes funérailles sur ses rives sans nombre! »

Ces beaux et tristes vers ne le sauvèrent point. Il semble au contraire, sur quelques mots d’un écrivain grec contemporain, qu’il quitta l’Occident pour aller mourir expatrié dans cet empire d’Orient, dont il avait été, après Stilicon, l’adversaire le plus redouté.


II.

Déjà en marche pour l’Epire, d’après ses conventions avec le gouvernement romain, Alaric, au premier bruit du meurtre de Stilicon, avait ramené son armée en Norique, sur la frontière même de l’Italie. Il s’y retrancha fortement, mais dans une attitude en apparence pacifique, tandis qu’Ataülf, son lieutenant et le mari de sa sœur, allait recruter sur les bords du Danube une seconde armée de Goths pannoniens et de Huns. Son camp fut bientôt rempli de Barbares, déserteurs des garnisons romaines, qui se succédaient par bandes nombreuses demandant vengeance pour leurs femmes et leurs enfans égorgés, vengeance pour leur général Stilicon, et soufflant leur colère dans le cœur des Goths d’Alaric. Au milieu de tant de passions sauvages, ce chef restait impassible, répétant qu’il était l’allié de l’empire, et qu’il ne romprait point le premier la foi jurée. En effet, il se remit à négocier comme si rien n’était changé dans le gouvernement romain depuis le traité conclu à Ravenne, entre lui et Stilicon, pour l’occupation de l’Illyrie orientale. « Si l’empereur, disait-il, renonce à la possession des provinces grecques, dont la conquête assurée d’avance et déjà commencée devait se faire par les armes des Goths, il n’en doit pas moins au roi de ce peuple les 4,000 livres d’or stipulées pour indemnité de campagne, et qui représentent ses frais d’armement; Alaric s’en contenterait, et, Rome ne voulant plus de ses services, il quitterait le Norique pour aller rejoindre son beau-frère en Pannonie. » Quant à son titre de maître des milices, qu’il avait abdiqué en Orient pour passer à la solde de l’Occident, quant aux honneurs que lui avait formellement promis le ministre d’Honorius, il n’en dit mot, gardant soigneusement ce chef de réclamation pour une circonstance plus opportune. En garantie