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impétueusement victorieuse de l’esprit de la renaissance dans la politique, a commencé son œuvre de régénération, elle a bien fait de proclamer la liberté.

Ce fut son premier cri, l’égalité ne vint qu’à la suite. Nous observons la même gradation. D’autres adversaires nous ont quelquefois demandé compte de nos préférences persistantes pour la liberté, comme si l’ordre, qu’on lui donne pour pendant, n’avait pas droit à une sollicitude égale. Voici nos raisons. Puisque la liberté est chose nouvelle, il faut bien qu’à la rigueur on puisse s’en passer. Et en effet on s’en passe. Elle fait tristement défaut dans les annales du monde. On trouve en tout temps des gens pour se consoler de la perdre, pour se vanter de la détruire ; on n’en trouve pas pour dire que l’ordre n’est pas nécessaire. Il l’est tellement qu’il ne disparaît jamais entièrement, et qu’à peine troublé, il se rétablit de lui-même. Les temps de désordre se comptent par jours, les absences de la liberté se comptent par siècles dans l’histoire. On ne manquera jamais de défenseurs pour l’ordre. Je ne le déprécie pas pour cela ; je dirai, si l’on veut, qu’il est la santé, la vie des sociétés ; mais la liberté est leur honneur. Ceux qui aiment l’ordre plus que la liberté préfèrent la vie à l’honneur.

Venons à l’égalité. Il y a plus longtemps qu’il en est question. L’inégalité dans la loi commune choque un sentiment de justice que les peuples libres ne sont pas les seuls à éprouver. Les privilèges sociaux ont essayé vainement de se faire prendre pour les pouvoirs d’une magistrature politique. Le bon sens et l’amour-propre ne sont pas dupes, et il est impossible de leur persuader que le bien de l’état veuille que les plus considérables des citoyens ne paient point la taille. Si l’on avait eu le dessein prémédité de perdre la noblesse, rien n’eût été mieux inventé que de lui donner, comme en France, pour distinction exclusive le service militaire, celui de tous les services publics auquel la nation entière s’est toujours montrée le plus propre. Aussi-était-il juste que la révolution signalât surtout son avènement par la création d’armées incomparables, et prouvât au monde que ce que la noblesse voulait faire seule était précisément ce que le peuple faisait le mieux. C’est pourquoi la conquête de l’égalité passe pour faite et pour assurée. Cela est certainement vrai de l’égalité qui dépend des lois civiles. Le droit commun est aussi regardé comme la règle de l’administration, et quand la faveur et la partialité s’en écartent, elles ne s’en vantent pas. Ce serait cependant s’avancer beaucoup que de dire que l’égalité n’a plus de progrès à faire, de garanties à demander. Il y a dans une grande société des inégalités nécessaires de fortune et de lumières que les lois n’ont pas créées, auxquelles les gouvernemens ne peuvent rien. Ces inégalités, on ne peut les détruire ; mais on ne doit pas les aggraver.