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C’est pourtant ce que peuvent faire la législation et l’administration, lorsqu’elles ne tiennent pas assez de compte de la différence qui subsiste entre ceux qui jouissent d’une propriété stable et ceux qui vivent d’un salaire gagné chaque jour par le travail. Cette différence est si grande qu’elle fait sortir d’une loi uniforme des résultats très différent. Le système des charges publiques, par exemple, révisé d’après cette idée, donnerait peut-être lieu à plus d’une réforme commandée par la véritable égalité, c’est-à-dire par la justice.

Est-ce à dire que l’intérêt des pauvres doive dominer dans le gouvernement, ce qui est, suivant Aristote, le caractère spécial de la démocratie ? Non ; nous pensons, comme lui, que le vrai régulateur est l’intérêt général. À la vérité, il ne croit cette condition remplie que dans le gouvernement des classes moyennes. Eh bien ! nous le suivrons encore en cela : non que les classes moyennes soient pour nous toute la nation ; mais la démocratie n’est pas pour nous la domination de la multitude, ce n’est pas autre chose que l’égalité au sein d’une nation libre. Sur cette base, nous cherchons à édifier le meilleur gouvernement possible. Or ce n’est pas le pourvoir d’un seul, ni d’une aristocratie, ni de la totalité des citoyens ; Qu’est-ce donc ? Celui de quelques hommes qui s’élèvent par l’égalité même, que la publicité désigne à l’opinion, qui, toujours soumis à son contrôle, représentent selon toute vraisemblance ce que veulent l’esprit et l’intérêt commun de la société. C’est à composer ainsi le gouvernement que, soit dans la monarchie, soit dans la république, doit tendre tout l’artifice des constitutions.

Ce gouvernement, j’en conviens, risque fort de se recruter de préférence dans les classes moyennes. Et les classes moyennes, n’est-ce pas ce que les publicistes de la démocratie appellent la bourgeoisie ? Et la bourgeoisie, Dieu sait le mal qu’ils en pensent et qu’ils en disent ! Il nous fâche de voir M. Guéroult se ranger au nombre des détracteurs de cette caste modeste hors de laquelle, je défierais bien tout homme qui tient une plume de se placer.

En vérité, elle a du malheur, cette pauvre bourgeoisie française ! Pour un rêveur, bienveillant cette fois, qui a daigné lui dire un jour qu’il était tout, ce tiers-état, si longtemps honni par les privilégiés de toute origine, a vu depuis un temps sortir de son propre sein des contempteurs tout autrement superbes qui ne songent qu’à lui prouver qu’il n’est rien. Ce n’est pas le moindre des travers de la littérature contemporaine que la manie aristocratique qui l’a saisie et qui la range dans presque toutes ses productions du côté du comte Dorante et de la marquise Dorimène contre M. et Mme Jourdain. Ceux qu’on appelle les rapins en langage d’atelier ont commencé : les bourgeois sont pour eux le genre dont les épiciers sont l’espèce,