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dans la portion de la société qui a les moyens et la volonté de bien élever ses enfans.

Cela dit, il y a diverses manières d’employer cette classe au gouvernement. Quelques-uns, on l’a vu, aimeraient mieux qu’elle ne fournît que de simples agens d’exécution. Au-dessus de ceux-ci pyramiderait un chef unique ; il voudrait seul. En lui se personnifierait la démocratie, parce qu’elle l’aurait nommé. Ce choix, par une miraculeuse vertu, conférerait à ses descendans mêmes ce caractère démocratique, indéfectible, inaliénable, puisque la monarchie serait héréditaire. Un seul plébiscite rendu par une seule génération, voilà ce qui serait à tout jamais le résultat de l’avènement de la démocratie. Elle n’en demanderait pas davantage ; cela fait, elle rentrerait dans son néant. C’est là le danger que Tocqueville redoutait pour elle.

De quel droit appeler cela un gouvernement démocratique ? Il ne le sera pas dans son personnel, la démocratie n’y est que gouvernée. Qui garantit qu’il le sera dans son esprit, et depuis quand, abandonné à lui-même, un souverain reste-t-il invariablement fidèle à l’intention de ceux qui l’ont élu ? Un pouvoir sans contrôle et sans contre-poids a-t-il jamais manqué de devenir l’égoïsme armé et constitué ? S’il réside dans une seule main, tout vient de lui, toute crainte comme toute espérance ; les citoyens n’attendent plus rien les uns des autres ; aucune confiance, aucune bonne intelligence ne rattache entre elles les classes diverses de la société. Nous voilà bien loin des chimères de la fraternité. Entre gens qui doivent tout à la souveraineté d’un seul, il n’existe aucun lien. Il n’y a de commun que l’obéissance.

Il faut donc des tempéramens à cette unité absolue. Il faut des institutions, c’est-à-dire qu’il faut des élections et des garanties. Ainsi nous revenons au régime de la liberté. On ne peut s’en écarter longtemps ; après l’avoir déclaré impossible, on est obligé tôt ou tard de le trouver nécessaire. L’impossibilité n’en peut être longtemps soutenue, si l’on ne met le peuple français au-dessous des Belges, des Italiens, des Espagnols. Dieu soit loué ! les adversaires de la liberté sont condamnés à se faire les détracteurs de la patrie. Les principes que nous leur opposons sont maintenant sous la protection de la loi. Le décret du 24 novembre a rouvert la voie aux améliorations constitutionnelles, permis à chacun d’indiquer celles qu’il réclame ou qu’il espère. Voyons donc à quels progrès nous bornons nos vœux.

On peut réduire les libertés du citoyen à la liberté individuelle, à celle des cultes, à celle de la presse, à celle des élections. Les lois qui fonderont ces libertés auront pour garantie dernière l’indépendance des tribunaux. Sous cette sauvegarde, l’individu est libre,