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Ici on me donne naturellement pour solution le suffrage universel. Je ne conteste pas que ce soit une solution. J’ai regret que nos lois mettent le suffrage universel à l’abri de la discussion. Libre de n’en pas dire de bien, j’en dirais peut-être davantage. On me permettra au moins de remarquer que le suffrage universel n’est qu’un moyen légal de faire intervenir le peuple dans son gouvernement. Que ce soit le meilleur dans tous les temps et dans tous les lieux, comment le prétendre ? Il faut laisser à Dieu le privilège des vérités éternelles ; mais puisqu’il est, et qu’il est un fait grave et puissant, il faut bien reconnaître que le suffrage universel, étant destiné à donner au peuple le sentiment de son droit et de son action, a besoin d’être aussi réel, plus réel que tout autre mode électoral. Il importe qu’il ne devienne jamais une apparence, une illusion ; on le prendrait pour un leurre. Or un peuple ne doit pas être trompé ; on devrait trembler, s’il croyait jamais l’être. Nul système d’élection ne réclame donc plus que celui-là des formes et des garanties qui en assurent la liberté et la sincérité. Destiné à créer l’esprit public dans les masses, il n’y peut réussir qu’en leur donnant la persuasion et la conscience d’un rôle sérieux dans l’état. Il faut qu’elles se sentent vouloir. Si l’on dit que c’est poursuivre un résultat chimérique, on fait le procès au suffrage universel.

Je regarderais donc comme la question la plus digne de l’attention des publicistes la recherche du meilleur mode légal d’élection fondé sur la base du suffrage universel. Il est probable qu’une telle recherche, entreprise avec l’intention loyale d’inspirer à la masse de la population le sentiment d’une participation effective à la formation des pouvoirs de gouvernement, conduirait à poser, comme deux conditions indispensables, l’entière liberté de discuter les candidatures et les élections, la nécessité de l’instruction primaire pour exercer le droit d’élire. Qu’attendre pour un peuple de la liberté de la presse, si ce peuple ne sait pas lire ? Même avec ces deux conditions, bien des nations pourraient encore rester longtemps au-dessous du mandat que la loi leur aurait confié.

Ce n’est pas tout, et si l’on veut que la démocratie croie avoir part à la vie politique, il ne suffit pas qu’elle ait a de longs intervalles une formalité légale à remplir : il faut que les effets répondent aux promesses. Nous prenions tout à l’heure la défense des classes éclairées. Ce n’est pas que nous pensions qu’il ne leur reste rien à apprendre pour se montrer au niveau de leur rôle dans le gouvernement, car elles peuvent faire plus pour la démocratie que la démocratie même, et il y a plus à attendre, plus à exiger des élus que des électeurs. Voulez-vous satisfaire, pacifier les masses, les intéresser au bien public, faites-leur sentir qu’elles vous intéressent. Ne rougisses point d’elles ; ne les négligez pas, ne les craignez pas.