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Pensez au peuple, et qu’il le sache. Ce qu’il lui faut dans le gouvernement, c’est moins la forme démocratique que l’esprit démocratique, je veux dire, comme Royer-Collard, l’esprit d’égalité. Que de misérables craintes ou de puérils dédains ne vous détournent jamais d’étudier la situation, de peser les plaintes, de veiller aux intérêts moraux et économiques du plus grand nombre. Qu’envers lui, la législation ne s’inspire que de justice et de bienveillance : sa condition est le grand problème politique des temps modernes. Éluder ce problème, l’ajourner, le taire, c’est faiblesse et imprudence. Y penser toujours, en parler souvent, c’est à la fois en prouver et en diminuer la gravité ; c’est se le rendre plus familier, plus abordable, partant plus soluble, et apprendre en même temps à tous combien il est difficile. La difficulté ne sera surmontée que peu à peu, par des mesures de détail, par des améliorations lentes et multipliées. Il faut ici une sollicitude constante, qui ne se lasse ni ne se cache jamais. On a pu souvent admirer combien dans cette Angleterre dite si aristocratique, et qui l’est en effet par quelques opinions et quelques institutions, la législation journalière l’est peu. Dans ses règlemens financiers ou économiques, dans la plupart de ses réformes administratives, le parlement n’a le plus souvent en vue que ce qu’il appelle le million, et que nous appelons les masses. En comptant, on trouverait que sur un même nombre de délibérations la chambre des communes s’est peut-être en tout temps occupée trois fois plus souvent que nos chambres des intérêts populaires.

Otez les privilèges de la pairie et la loi des successions, il se pourrait que la législation anglaise fût plus respectueuse que ne l’est parfois la nôtre pour le principe du droit commun. On sait qu’il y a bien des années que nos voisins ont aboli la loi sur les coalitions, trouvant trop difficile de la rendre juste et égale pour tous. Je doute que l’on découvrît dans le livre des statuts l’équivalent de ce singulier article du code qui accepte comme preuve le serment du maître contre le domestique et n’admet pas la réciprocité. L’étude du remaniement des impôts en Angleterre depuis vingt ans ferait connaître nombre de principes et de mesures qui seraient chez nous taxés de tendance au socialisme. Il y a deux sentimens dont se doivent garer surtout les honnêtes gens promus en France à la gestion des affaires publiques : c’est l’humeur et la timidité. L’esprit de conservation qui s’aigrit et s’intimide perd à coup sûr ce qu’il veut sauver.

Il faut bien d’ailleurs se le tenir pour dit, ce qui grandit en ce moment, ce sont les classes ouvrières. Sans qu’il soit aisé d’en assigner la cause, car les institutions ont peu fait pour cela, un progrès intellectuel et moral se manifeste dans leur sein, et frappe les observateurs les plus clairvoyans et les moins suspects. M. Louis Reybaud, dans ses excellens mémoires sur les ouvriers en soierie, a