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machine à vapeur fixe. Plus tard, et même après que les villages de la Grande-Bretagne eurent été reliés entre eux par des rubans de fer, pas une seule des grandes lignes n’avait encore le courage de pénétrer franchement dans la ville proprement dite. On eût dit qu’elles reculaient avec une sorte de terreur respectueuse devant les entassemens d’habitations qu’il leur faudrait abattre. L’obstacle le plus difficile à surmonter était la dépense : une fois dans l’enceinte de la ville, les chemins de fer devaient se frayer un passage à travers des maisons qu’on ne voulait céder qu’à des prix fabuleux ; mais c’était surtout les fabriques, les comptoirs et les bureaux d’affaires qui exigeaient des dédommagemens énormes. Un fait seul donnera une idée de la puissance de cet obstacle. Dans le voisinage de Saint-Paul, un très petit morceau de terrain fut évalué, il y a quelques années, à la somme effrayante de 66,000 livres sterling. En face de telles prétentions, les plus hardis entrepreneurs de railways durent se borner à longer les faubourgs de Londres sans entamer le cœur de la ville ni les grands centres du commerce. Et pourtant plus d’une considération les engageait de jour en jour à sortir des limites que leur avait d’abord prescrites la prudence.

Depuis plusieurs années, on se plaignait à Londres des engorgemens de la circulation. Ainsi que le flux et le reflux de l’océan, les grandes marées de la population dans les rues de la métropole anglaise se montrent réglées par le temps et l’heure de la journée. Ce n’est point la lune, mais c’est la pression des affaires qui fait ici déborder les flots d’hommes et de véhicules. Qui ne s’est arrêté quelquefois dix minutes dans King-William-street ou sur London-Bridge avant de pouvoir traverser le courant de voitures qui ébranle la chaussée ? J’ai vu des Anglaises réclamer aux heures affairées (busy hours) l’assistance d’un policeman pour trouver leur chemin entre les têtes de chevaux qui se pressent et se succèdent sans relâche[1]

  1. Ici encore la brutale éloquence des chiffres en dira plus que tous les discours. En dix années, le nombre des personnes qui passent, sur le pont de Londres s’est accru dans une proportion incroyable. Voici du reste un tableau qui indiquera le mouvement des voitures à certains jours sur différens points de Londres entre huit heures du matin et huit heures du soir :
    London-Bridge 18,179 par jour 1,841 par heure.
    Cheapside 13,512 — 1,361 —
    Ludgate-Hill 10,626 — 1,164 —
    Holborn-Hill 10,078 — 1,024 —
    Temple-Bar 9,883 — 1,103 —


    À cela il faut ajouter le mouvement des piétons. Le 16 mars 1859, M. Whittle Harvey, commissaire de police ne la Cité, fit surveiller le pont de Londres pendant vingt-quatre heures, et compta 107,074 passans. Il y avait en outre 60,836 personnes dans les voitures, dont le nombre s’éleva, durant les vingt-quatre heures, à 20,444.