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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/671

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rives enchantées, nagent bravement entre les bateaux à vapeur. Le nouveau viaduc n’enlève rien à la poésie des lieux, il y ajoute au contraire le sentiment qui manque à la nature, celui de la force matérielle vaincue par l’esprit. Ce railway bridge se compose de cinq grandes arches symétriques construites entièrement en fer, auxquelles il faut ajouter sur la terre ferme d’un côté quatre et de l’autre côté six moyennes arches de brique, formant tout ensemble une longueur de près d’un quart de mille. La première fois que je visitai ce léger et hardi monument de la puissance de l’homme, le ciel était nuageux, comme il l’est si souvent à Londres, sans pour cela annoncer la pluie ; de grandes raies de lumière blanchâtre tombaient d’un soleil caché par la brume sur les toits et les clochers de la ville, qui se perdait à distance. Tout à coup une locomotive, traînant toute une chaîne de wagons, déboucha sur l’extrémité opposée du pont, et déploya dans l’air son panache de fumée. Je la regardais s’avancer en droite ligne avec la régularité majestueuse d’une force qui dévore l’espace, quand sous le même pont vint à passer un steamboat, les deux jets de vapeur et de fumée se confondirent dans un nuage fraternel qui, chassé par le vent, porta sur la rive gauche le glorieux témoignage des conquêtes de l’industrie. — Plus loin vers l’ouest, mais toujours dans Londres, s’élève encore un autre pont de chemin de fer qui doit très prochainement réunir Walham-Green et Kensington aux lignes du South- Western. Où s’arrêtera ce mouvement ? Nul ne saurait le dire. Le parlement anglais est assiégé chaque jour de nouveaux plans et de nouvelles demandes de concessions. Avant peu, le nombre des railway bridges égalera et même dépassera peut-être le nombre des ponts ordinaires sur la Tamise[1].

Toutes ces annexes ajoutées dans l’intérieur de la ville aux anciens chemins de fer tendent évidemment à réaliser un double dessein. On veut d’abord rejoindre plus intimement les provinces et les pays étrangers à la métropole britannique. Le voyageur parti de Paris ne viendra plus seulement à Londres par la voie ferrée, mais encore il désignera d’avance le quartier de Londres et pour ainsi dire l’hôtel où il lui plaira de s’arrêter. Dans le cas où il choisirait le débarcadère de Charing-Cross, à deux pas de Haymarket, il pourra le même jour déjeuner au Palais-Royal, à Paris, et passer la soirée, si bon lui semble, au Théâtre de sa Majesté, her Majesty’s Theatre. L’autre but que les entrepreneurs de chemins de fer anglais se proposent d’atteindre est d’alléger à leur profit le fardeau de la circulation dans les rues de Londres. On a calculé déjà que le débarcadère

  1. Tous ces viaducs jetés sur la Tamise reportent volontiers l’esprit a une époque où Londres n’avait qu’un seul pont, London-Bridge, et cet état de choses se prolongea durant plus de sept cents ans.