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mesure, « inspirée, disent leurs historiens, par le mauvais génie dont les caprices régissaient alors le monde. » En effet, d’après les doctrines du polythéisme, les ornemens symboliques des divinités, consacrés par certains rites, constituaient une partie essentielle de leur puissance : les simulacres dépouillés n’étaient plus que des statues sans âme et des dieux morts. Parmi les statues d’or ou d’argent massif livrées aux fourneaux pour les fondre, un hasard inexplicable comprit celle de la vertu guerrière, du courage, Virtus, cette première divinité de la vieille Rome. Le sénat et le préfet ne firent point exception pour elle, tant la peur les pressait. Ce fut le coup suprême porté au culte national par ceux qui se vantaient de le conserver, et pour beaucoup de Romains la dernière illusion patriotique. « Tout est fini, purent-ils dire, Rome renie la vertu qui l’a fait vivre tant de siècles, et provoque elle-même sa destinée. » L’histoire nous a conservé dans quelques pages des écrivains polythéistes un écho de ces secrètes, mais profondes douleurs.

On livra immédiatement une partie de la rançon, des termes furent pris pour acquitter le reste. Alaric donna trois jours aux habitans pour venir dans son camp se pourvoir de vivres, et désigna les portes de la ville par lesquelles il leur serait permis de sortir et de rentrer; il rendit libre également la navigation du Tibre. Le peuple affamé vendit aux Barbares ce qu’il lui restait de plus précieux pour avoir du pain, et ces échanges firent affluer aux mains des Goths une autre partie des richesses de Rome. Par jactance de générosité, le roi goth leva le siège avant le parfait paiement du prix convenu, et se retira en Étrurie pour y attendre une entière satisfaction et quant au complément de la rançon et quant à la remise des otages. Une des clauses du traité concernait la libération des esclaves barbares renfermés dans la ville : ceux qui voulurent être libres le purent, et la plupart d’entre eux allèrent rejoindre les assiégeans. Il arriva sur ces entrefaites que des maraudeurs goths, descendant le long du Tibre, arrêtèrent un convoi de blé qui se rendait à Rome, et le pillèrent. Alaric les punit exemplairement, disant que ce méfait avait été commis contre sa volonté. Tel fut son dernier acte en s’éloignant de la ville éternelle, dont il emportait dans ses bagages les trésors et les dieux.

Tandis que ces choses se passaient à l’ouest des Apennins, Honorius faisait à Ravenne les préparatifs de son huitième consulat, qui fut célébré avec autant de pompe que le permettait la pénurie du trésor impérial. Le second fils du grand Théodose ouvrit ainsi, de concert avec son neveu Théodose II, consul et empereur d’Orient, la nouvelle année 409.