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obligés de prendre contre un communiqué ministériel la défense du sénatus-consulte du 31 décembre 1861. Nous allons être pris de la maladie de tout le monde et ne plus savoir ce que nous faisons. Le comique de notre rôle nous avertit qu’il est temps de le quitter.

Malgré l’échec qu’a essuyé l’insurrection de Pologne en concentrant sa principale force organisée sous la dictature de Langiewicz, nous persistons à penser que les circonstances n’en restent pas moins favorables à un réveil de la nation polonaise, et que ce sera pour la France une grande faute et un long regret, si nous laissons échapper l’occasion d’obtenir pour ce peuple héroïque les redressemens qui lui sont dus. La cause de la Pologne s’agite en deux régions bien différentes : d’un côté se poursuit le duel à outrance entre la Pologne et la Russie dans les marais et dans les bois de l’ancien royaume et de la Lithuanie, de l’autre, les grandes puissances, qui ne peuvent assister sans pitié et sans une sorte de honte à ce combat inégal, continuent dans le mystère leur travail diplomatique, dont le public n’aperçoit que le mouvement extérieur.

Que résultera-t-il de la lutte armée entre la Pologne et la Russie ? Il paraît certain que la guerre de partisans ne cessera pas de si tôt. Les forces militaires de la Russie seront impuissantes à en venir promptement à bout. Cette triste lutte de la résistance désespérée contre la répression féroce est destinée à durer encore. Quand même ni l’action ni l’opinion de l’Europe ne devraient intervenir dans cette lutte, la Russie, si elle a des hommes d’état à sa tête, devrait avoir pris à l’égard de la Pologne un grand parti. Il est visible que la Russie ne peut pas résoudre par la force la question de la Pologne. Un peuple ne conquiert pas un peuple. Quand la Russie aurait encore une fois à ses pieds la Pologne mutilée et enchaînée, elle ne serait pas plus maîtresse de l’âme de cette nation qu’elle ne l’a été depuis bientôt un siècle. Si la Russie se croit appelée à une grande mission dans le monde, si elle pense avoir à accomplir sur elle-même de grands progrès, ses hommes d’état doivent bien savoir qu’elle ne pourra remplir sa destinée, qu’aucune régénération intérieure ne lui sera possible tant qu’elle demeurera dans l’état violent où elle est vis-à-vis de la Pologne. La Russie donne déjà à l’Europe une assez triste idée de sa force militaire par la difficulté qu’elle éprouve à vaincre une insurrection privée d’armes et de toutes les ressources avec lesquelles on fait la guerre. Son gouvernement donnerait une idée plus triste encore de son incapacité, de sa stérilité d’esprit, il se montrerait dénué de toute inspiration et de toute adresse, s’il ne réussissait pas à trouver une solution pacifique à la question polonaise. Au temps où nous vivons, un gouvernement devrait rougir de ne savoir recourir qu’à la force pour résoudre une difficulté intérieure ; une domination qui ne sait agir que par la violence est essentiellement faible et inévitablement frappée de mort au jugement de tous les esprits éclairés.

La Russie devrait mettre d’autant plus de hâte à prendre à l’égard de la Pologne un grand parti pacifique, qu’elle se soustrairait ainsi à toute perspective