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avaient tué mon père, punissant leur crime par des jugemens réguliers. Ensuite, comme ils faisaient la guerre à la république, je les ai vaincus. » On remarquera qu’il n’est pas question des proscriptions. Qu’en pouvait-il dire en effet ? et y avait-il des artifices de langage assez habiles pour en diminuer l’horreur ? À tout prendre, il était plus honnête de n’en pas parler ; mais comme, suivant la belle réflexion de Tacite, il est plus facile de se taire que d’oublier, nous pouvons être assurés qu’Auguste, qui ne dit rien ici des proscriptions, y a plus d’une fois songé pendant sa vie. Quand même il n’en aurait pas éprouvé de remords, il a dû se sentir souvent embarrassé par ce démenti terrible que le passé donnait à sa politique nouvelle, car il avait beau faire, les proscriptions protestaient toujours contre ce rôle officiel qu’il avait pris d’homme clément et vertueux. Ici même il nous semble que cet embarras se trahit. Son silence ne le rassure pas tout à fait. Il sent que, malgré la discrète réserve de son récit, de fâcheux souvenirs ne manqueront pas de s’éveiller dans l’esprit de ceux qui le liront. N’est-ce pas pour les prévenir et les désarmer qu’il s’empresse d’ajouter : « J’ai porté mes armes sur terre et sur mer dans le monde entier, soutenant des guerres contre les citoyens et les étrangers ? Victorieux, j’ai pardonné aux citoyens qui se soumettaient, et quant aux nations étrangères qu’on pouvait épargner sans danger, j’ai mieux aimé les conserver que de les détruire. »

Une fois ce mauvais endroit passé, il lui devenait plus facile de raconter le reste. Cependant il est encore très court au sujet de la première époque de sa vie. Peut-être craignait-il que le souvenir des guerres civiles ne nuisît à cette réconciliation des partis que la lassitude générale avait amenée après Actium. Il est certain qu’il n’y a pas un mot dans tout le testament qui puisse réveiller quelque rancune. Il ne dit presque rien de ses anciens rivaux. C’est à peine si l’on peut relever un mot dédaigneux contre Lépide et un souvenir désagréable pour Antoine, qu’il accuse en passant de s’être approprié le trésor des temples. Voici tout ce qu’il dit de sa guerre contre Sextus Pompée, qui lui coûta tant de peine, et comme il parle de ces vaillans hommes de mer qui l’avaient vaincu : « J’ai délivré la mer des pirates, j’ai repris trente mille esclaves fugitifs qui avaient fait la guerre à la république, et je les ai rendus à leurs maîtres pour les châtier. » Quant à cette grande victoire d’Actium, qui lui avait donné l’empire du monde, il ne la rappelle que pour constater l’empressement de l’Italie et des provinces occidentales à se déclarer pour lui.

Mais, quelque intérêt qu’on puisse trouver à ces souvenirs historiques, ce n’est point par là que le monument d’Ancyre est surtout curieux. Sa véritable importance est dans ce qu’il nous apprend du gouvernement intérieur d’Auguste. Ici encore il y a des réserves à faire. Les politiques ne sont guère dans l’usage d’afficher sur les murailles des temples les principes qui les dirigent, et de livrer aussi généreusement au public les secrets de leur conduite. Il est évident qu’Auguste, qui écrit ici pour tout le monde,