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n’a pas voulu tout dire, et que si l’on veut savoir l’exacte vérité et connaître à fond l’esprit de ses institutions, il faut s’adresser aux historiens, à Dion Cassius surtout, qui, dans le curieux discours qu’il prête à Mécène, trace réellement le programme que réalisa l’empire. Ce programme nous aide singulièrement à comprendre ce qu’il nous reste à étudier du testament d’Auguste. Il faut toujours l’avoir devant les yeux pour bien saisir l’esprit de ses institutions, la raison de ses libéralités, le sens caché des faits qu’il mentionne, et surtout le caractère de ses rapports avec les diverses classes de citoyens.

C’est de l’armée qu’il parle d’abord. « Environ cinq cent mille Romains, dit-il, ont porté les armes sous moi. J’en ai établi dans des colonies ou renvoyé dans leurs municipes, après avoir acquitté leur solde, à peu près trois cent mille. À tous j’ai assigné des terres ou donné de l’argent. » Il revient plus d’une fois encore, dans le reste de l’inscription, sur les libéralités qu’il a faites à ses vétérans. Elles durent lui coûter fort cher, car nous voyons qu’en une seule fois, lorsqu’il établit le trésor militaire, il y fit porter 170 millions de sesterces (34 millions de francs). Tant de dépenses faites pour contenter l’armée prouvent assez les inquiétudes qu’elle lui causait. Il est certain que ses propres légions lui ont créé autant d’embarras que celles des ennemis. Il avait affaire à des soldats qui se sentaient les maîtres, et que depuis dix ans on enivrait de flatteries et de promesses. La veille de la bataille, ils étaient pleins d’exigences par le besoin qu’on avait d’eux ; le lendemain de la victoire, ils devenaient intraitables par l’orgueil qu’elle leur inspirait. Pour les contenter, il eût fallu exproprier en masse, à leur profit, tous les habitans de l’Italie. Octave y avait consenti d’abord après Philippes ; mais plus tard, quand sa politique changea, quand il comprit qu’il ne pourrait fonder d’établissement solide, s’il s’attirait la haine des Italiens, il prit le parti de payer largement aux propriétaires les terres qu’il donnait à ses vétérans. « J’ai remboursé en argent, dit-il, aux municipes la valeur des champs que j’avais promis à mes soldats dans mon quatrième consulat, et plus tard sous le consulat de M. Crassus et de Cn. Lentulus. J’ai payé pour les champs situés en Italie 600 millions de sesterces (120 millions), et 260 millions de sesterces (52 millions) pour ceux qui étaient situés dans les provinces. De tous ceux qui, jusqu’à moi, ont fondé des colonies dans l’Italie et les provinces, je suis le premier et le seul qui ait agi ainsi. » Il a raison de s’en vanter. Ce n’était guère l’habitude des généraux de ce temps de payer ce qu’ils prenaient, et lui-même avait longtemps donné d’autres exemples. Lorsqu’un peu tard il s’avisa de résister aux exigences de ses vétérans, il eut à soutenir des luttes terribles, dans lesquelles sa vie fut plus d’une fois en danger. De toute façon, la conduite qu’il tint alors avec ses soldats est une des choses qui lui font le plus d’honneur. Il leur devait tout, il n’avait rien de ce qu’il fallait pour les dominer, ni les qualités de César, ni les défauts d’Antoine, et cependant il osa leur