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comme il avait fait, il ait pu se changer à ce point et mettre une vertu ou l’apparence d’une vertu à la place de tous ces vices qui lui étaient naturels. Cependant, quelque justice qu’on soit forcé de lui rendre, il nous serait difficile de l’aimer. Peut-être avons-nous tort après tout, car la raison nous dit que nous devrions savoir plus de gré aux gens des qualités qu’ils se donnent en triomphant ainsi d’eux-mêmes que de celles qu’ils ont reçues du ciel sans prendre aucune peine ; mais je ne sais comment il se fait que ces dernières sont les seules qui nous plaisent. Il manque aux autres un certain charme, que la nature seule donne et qui gagne les cœurs. L’effort y paraît trop, et derrière l’effort l’intérêt personnel, car on soupçonne toujours que l’on n’a pris tant de peine que parce qu’on y trouvait son profit. Cette sorte de bonté acquise, où la raison a plus de part que la nature, n’est sympathique à personne, parce qu’elle paraît être le produit d’une volonté qui calcule. C’est ce qui fait que toutes les vertus d’Auguste nous laissent froids et ne nous semblent tout au plus qu’un chef-d’œuvre d’habileté. Il leur manque, pour nous toucher, un peu de naturel et d’abandon. Ce sont là des qualités que n’a jamais connues ce personnage roide et composé, quoiqu’au dire de Suétone il affectât volontiers la simplicité et la bonhomie dans ses relations familières ; mais n’est pas bonhomme qui veut, et ses lettres intimes, dont il nous reste quelques fragmens, montrent que sa plaisanterie manquait d’aisance, et qu’il n’était simple qu’avec effort. Ne savons-nous pas d’ailleurs, par Suétone lui-même, qu’il écrivait ce qu’il voulait dire à ses amis pour ne rien laisser au hasard, et qu’il lui est même arrivé de rédiger par avance ses conversations avec Livie ?

Ce qui achève de nous gâter Auguste, c’est le voisinage de César. Le contraste est complet entre eux. César, sans parler de ce qu’il y avait de plus grand et de plus brillant dans sa nature, nous attire tout d’abord par sa franchise. Son ambition peut nous déplaire, mais il avait le mérite au moins de ne pas la dissimuler. Je ne sais pourquoi M. Mommsen s’évertue, dans son Histoire romaine, à vouloir prouver que César ne tenait pas au diadème, et qu’Antoine, quand il le lui offrit, ne gavait pas consulté. J’aime mieux m’en tenir à l’opinion commune, et je ne crois pas qu’elle lui fasse du tort. Il voulait être roi, et en porter le titre comme en avoir l’autorité. Jamais il n’a eu l’air, comme Auguste, de se faire prier pour accepter des honneurs qu’il souhaitait avec passion. Ce n’est pas lui qui aurait voulu nous faire croire qu’il ne gardait l’autorité suprême qu’avec répugnance, et qui aurait osé nous dire, au moment même où il attirait à lui tous les pouvoirs, qu’il avait rendu le gouvernement de la république au peuple et au sénat. Nous savons au contraire qu’il disait franchement après Pharsale que la république était un nom vide de sens, et que Sylla n’était qu’un sot d’avoir abdiqué la dictature. En toutes choses, jusque dans les questions de littérature et de grammaire, il était hardiment novateur, et n’affichait pas un respect hypocrite pour le passé au moment où il en détruisait les restes. Cette franchise est plus de notre goût que ces dehors