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périls. Le monde des arts est aussi rempli de courtisans de la fausse, gloire que le monde politique.

Le Théâtre-Italien, qui a éprouvé tant de vicissitudes cette année, ne tardera pas à clore la saison de ses harmonieux concerts. M. Tamberlick, qui nous est arrivé de Saint-Pétersbourg au commencement du mois de mars, s’est produit immédiatement dans le Poliuto de Donizetti, qui est l’un de ses meilleurs rôles. Ce faible ouvrage d’un maître charmant qui n’avait pas ce qu’il fallait pour chanter la foi ardente et sublime d’un chrétien des premiers siècles, cette partition, très inégale de style, renferme pourtant deux ou trois morceaux remarquables qui suffisent à faire croire au public qui fréquente le Théâtre-Italien que Poliulo est un chef-d’œuvre de musique religieuse. M. Tamberlick a chanté l’air du premier acte et sa partie dans le beau sextuor du finale avec l’ampleur de style et l’émotion profonde qui distinguent ce noble artiste. Il a été non moins heureux dans le duo du second acte, où Mme Penco l’a parfaitement secondé. On ne sait pourquoi M. Tamberlick s’est aventuré dans un opéra de M. Verdi, un Ballo in maschera, où il s’est trouvé un peu dépaysé. Quoi qu’il en soit de la voix défaillante de M. Tamberlick, qui ne possède plus que quelques notes strir dentés, c’est un artiste de la grande école dont l’accent et l’admirable diction me rappellent Garcia, d’illustre mémoire.

Pendant quelques jours, on s’est demandé avec une curiosité bien naturelle quel sort futur on réservait au Théâtre-Italien. Les candidats qui aspiraient a diriger ce beau domaine étaient aussi nombreux que les sables de la mer. Il y avait, dit-on, parmi ces compétiteurs des hommes de toutes les nations et de toutes les conditions, des Espagnols encore, des Anglais, des Allemands, des Juifs, des banquiers, des vaudevillistes beaucoup, pas un Italien. Il serait trop simple de mettre à la tête d’un théâtre où l’on chante la musique de Cimarosa et de Rossini dans la langue de Boccace et de l’Arioste un homme né à Rome, à Venise ou à Naples ! Est-ce pour se débarrasser de tant d’importuns que l’administration supérieure s’est décidée à supprimer la subvention de 100,000 francs que l’état accorde au Théâtre-Italien depuis longtemps ? Cette mesure est bien grave et pourrait ne pas peu contribuer à précipiter la décadence d’un théâtre qui est un ornement de. la vie parisienne et une école de bon goût dont la France ne peut se passer. Je sais qu’il existe dans le monde officiel et dans la presse un groupe d’esprits faux et aventureux qui parlent de la musique italienne et des chefs-d’œuvre qu’elle a produits avec un dédain superbe, et qui pensent que l’art de toucher le cœur par la voix humaine et les belles formes mélodiques est un art fini qui doit faire place aux grandes combinaisons dramatiques où la passion, les mœurs et la logique des caractères seront désormais les seuls principes du compositeur. Ce sont ces esprits-là qui trouvent que Mozart et Rossini ne sont pas des musiciens dramatiques et que Don Giovanni et Guillaume Tell sont d’admirables hors-d’œuvre qui disparaîtront de. la scène lorsque les grandes conceptions lyriques des hommes nouveaux pourront se produire. C’est pourquoi ils demandent que le théâtre où l’on chanté Cimarosa, Rossini, Donizetti, Bellini, Verdi et Mozart, devienne, comme celui de Londres, un grand spectacle cosmopolite où les virtuoses de toutes les nations pourront chanter Robert le Diable, les Huguenots, Guillaume