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réorganisation de l’armée par le rappel des chefs barbares ; au dehors, ses vues étaient plus larges encore et plus hardies. Malheureusement Jovius n’était pas un Stilicon, et son caractère ne se trouva point au niveau de l’œuvre qu’il osait entreprendre.

Le patrice Jovius nous présente dans l’histoire un des types les plus curieux de ce temps de bien et de mal, où l’avenir du monde se préparait au milieu des misères du présent, où la petitesse des hommes ravalait les plus grandes causes, où les plus saintes enfin se voyaient démenties et souillées par l’indignité des moyens. On ne connaît ni son origine ni son pays : ce nom fut d’ailleurs porté à la même époque par plusieurs personnages éminens. Celui-ci, selon toute vraisemblance, était Occidental, et ses relations particulières avec Symmaque, qui se réjouit de son élévation, font supposer qu’il appartenait au culte païen. Fin, insinuant, rompu aux affaires, capable même de quelque élan patriotique jusqu’au point où son intérêt personnel l’arrêtait, il était au fond inconsistant et léger. Son vrai terrain était la ruse, quoiqu’il montrât par soubresaut de la résolution et de l’audace. Héros dans une cour byzantine, il eût paru le dernier des hommes dans un temps où la persistance des idées et le désintéressement du but eussent été comptés pour quelque chose. S’il partageait dans son for intérieur les vues politiques de Stilicon, dont il était l’élève, il avait su le cacher si bien lors de la chute du régent que la perspicacité inquiète d’Olympius s’y était trompée, et il lui avait fallu pour se déclarer au grand jour la perspective du pouvoir et la haine vivace d’un eunuque. Tel était Jovius vis-à-vis de ses concitoyens ; quant aux Visigoths, il les avait rencontrés en Epire, où il s’était lié avec Alaric, lorsque le chef barbare y commandait. Sans doute leurs mutuelles confidences n’avaient rien laissé de côté, car le Romain y avait gagné une influence véritable sur l’esprit d’Alaric, et Jovius à son tour comprenait mieux que la plupart des hommes d’état de son pays la grandeur un peu sauvage de ce futur Romain qui faisait la guerre pour l’être. Ces sentimens se réveillèrent chez le nouveau ministre d’Honorius, lorsqu’il se vit appelé à diriger la politique de l’empire dans ses rapports avec les Goths : le système qu’il préconisa dans les conseils d’Honorius comme le meilleur, ou plutôt comme le seul bon, fut celui de la paix, du rapprochement des deux peuples, et de l’adoption d’Alaric par le gouvernement impérial. Il se mit à soutenir sa pensée avec tant de chaleur de langage, et, il faut le dire aussi, tant de vraie conviction, qu’il se flatta d’y avoir conquis le jeune prince. Alaric, informé de tout, croyait toucher au but de son ambition : il se rêvait déjà ministre romain, généralissime et patrice.

Pourtant, de son côté, il ne s’était pas endormi. Après l’issue ridicule de la députation du sénat, voyant cette assemblée froissée