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d’une étude spéciale[1] ; on s’en fait donc généralement une idée assez fausse. Il ne manque pas de descriptions poétiques qui nous présentent la vie dans les Alpes suisses comme douce et facile. La réalité est plus sévère, et rude est l’existence des habitans de ces montagnes. Montesquieu l’a mieux jugée quand il a dit qu’un Suisse payait plus à la nature qu’un Turc au pacha. Quoique Voltaire se moque de cette phrase, il n’en est pas moins vrai que dans une grande partie du pays la rigueur du climat et la rareté de la terre végétale exigent un labeur incessant et des soins multipliés, et que si le Turc travaillait moitié autant que le Suisse, il serait deux fois plus riche et pourrait payer deux fois plus d’impôts.

Pour étudier l’économie rurale des cantons, on ne doit point les grouper d’après leur position géographique, comme on le ferait dans tout autre pays. Ce n’est pas la situation dans l’espace qui détermine ici les caractères particuliers de l’exploitation rurale, mais la différence des hauteurs. De l’altitude dépend le climat, du climat la végétation, et de la végétation les travaux auxquels l’homme doit se livrer pour en tirer sa nourriture. En remontant cette échelle, on trouve la Suisse divisée en trois zones. La première, celle des céréales et des vignes, qui correspond au niveau des collines, commence à 643 pieds aux bords du Lac-Majeur, dans le canton du Tessin, et à 1,156 sur les rives du Léman, pour s’élever jusqu’à 2,500 pieds. Cet étage inférieur est déjà très haut en moyenne, car la Suisse tout entière, surtout au nord des Alpes lombardes, forme un massif fortement soulevé au cœur de l’Europe. La seconde zone, celle des forêts, qu’on pourrait aussi appeler celle des premières montagnes, s’étend entre 2,500 et 5,000 pieds ; elle comprend la plus grande partie du sol de la Suisse. Enfin la zone des pâturages, la zone alpine, s’élève depuis 5,000 pieds jusqu’à la ligne des neiges éternelles, c’est-à-dire jusqu’à 8,000 ou 9,000 pieds. Il ne s’agit pas ici, bien entendu, de limites nettement tranchées ; les différentes zones empiètent largement l’une sur l’autre : on trouve des forêts là où croît la vigne, et les céréales atteignent parfois les hauts pâturages ; on entend seulement marquer ce qui

  1. Quoiqu’il n’existe pas d’ouvrage spécial sur l’agriculture en Suisse, on trouve un grand nombre de monographies très intéressantes sur certains cantons ou sur certaines cultures. On peut citer notamment l’économie rurale du canton d’Appenzell par L. Zellweger, celle des Grisons par Bockman, puis Steinmüller, Beschreibung des Schweizerischen Alpen-und-Landwirthschaft, 1802, — R. Schatzmann, Schweiserische Alpen-wirthschaft (Aarau 1862). Les statistiques agricoles publiées par le gouvernement fédéral renferment les données générales réunies jusqu’à ce jour. Ce qu’il y a de plus complet sur l’agriculture suisse, ce sont les chapitres consacrés à cette matière dans un livre de M. Arwed Emminghaus, die Schweizerische Volkswirthschaft (1860, Leipzig), et dans le Schweiserkunde de M. A. Berlepsh (Braunschweig, 1858-1860).