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haut du fleuve ; ils brûlaient du désir d’aller à terre se mesurer aussi avec ces hommes qu’ils voyaient chaque jour commettre tant d’atrocités. Les équipages étaient d’ailleurs rompus à ce service mixte, pour ainsi dire amphibie, qu’avaient exigé les expéditions de Pékin et de Cochinchine. Aussi, en attendant le signal du départ, et comme pour tromper leur impatience, ils caressaient longtemps d’avance leurs armes, préparaient leurs sacs de toile, et prenaient ces mille précautions qui précèdent, pour des matelots, le moment d’aller un peu ramer en pleine terre.

Vers le mois de février 1862, nos établissemens de Woo-sung et la petite ville chinoise qui s’élève à côté étaient très sérieusement menacés. La frégate mouillée en face protégeait bien une partie de la rive gauche ; mais déjà la rive droite regorgeait de populations en fuite, se jetant pêle-mêle dans le fleuve, et trouvant ainsi la mort en voulant l’éviter. On sentait que les deux tronçons de rebelles du nord et du sud cherchaient à se rejoindre en traversant le seul obstacle qui les séparait encore. Réunis alors en grande masse, ils tomberaient sur Woo-sung, puis sur Shang-haï. Leur camp retranché, ou centre principal sur la rive droite, était à Ko-djo, grand village qu’ils avaient puissamment fortifié. Ce fut le premier point que les amiraux résolurent de frapper.

Le 21 février, à trois heures du matin, les canonnières 12 et 13 embarquaient à leur bord et remorquaient 150 hommes des frégates avec deux obusiers de montagne. Les Anglais partaient à la même heure avec de l’artillerie et 300 hommes. Le colonel Ward vint au rendez-vous désigné, à mi-chemin entre Woo-sung et Shang-haï, avec 500 de ses Chinois réguliers. Au point du jour, chacun était à terre, à quelques milles en dessous de Ko-djo, et la colonne franchissait sans obstacles, sur la digue du fleuve, la petite distance qui la séparait de l’ennemi, qu’elle trouva très bien préparé à la recevoir. L’artillerie, mise aussitôt en batterie, fit taire en quelques heures les pièces de la place, puis les marins lancés par les amiraux, les. impériaux par Ward, coururent à l’assaut. Les rebelles tinrent bon et continuèrent un feu nourri de mousqueterie jusqu’au moment où les têtes de colonnes couronnèrent les parapets. À cet instant seulement, ils prirent la fuite et disparurent avec cette célérité particulière aux gens serrés de près par des baïonnettes et décimés par des obus. On put dès lors se former une opinion sur la manière de combattre des rebelles : il était douteux qu’ils se risquassent jamais en rase campagne contre les Européens ; mais ils tiendraient toujours avec opiniâtreté derrière des murailles. Peu effrayés par la précision de notre tir et la portée de nos fusils, l’arme blanche et les obus, ces pastèques allumées, comme ils les nomment, pouvaient seuls les faire déloger. Les alliés firent dans le