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village en ruine de Ko-djo de nombreux prisonniers ; ils ramassèrent aussi des centaines de ces enfans que les rebelles arrachent à leurs familles pour les élever avec soin dans la pratique de tous les vices. À peine trouvèrent-ils quelques femmes, car les Taï-pings professent pour le sexe féminin un profond mépris. Le soir même, la colonne rejoignait les bâtimens, enchantée d’un succès qui nous promettait des victoires plus importantes.

Bientôt les amiraux eurent connaissance que la petite ville de Siao-tan, située dans le Pou-tong, à quinze milles en amont de Shang-haï, était devenue la résidence des principaux chefs de la rébellion de ce côté du fleuve. On ne perdit pas un instant ; le 28 février, les canonnières anglaises et françaises partaient avec le même contingent qu’à la première expédition. On débarquait l’artillerie le soir même, et le lendemain matin au jour on marchait résolument à l’attaque de la redoute, située à deux lieues dans les terres. Après une assez longue canonnade, l’assaut fut donné, et malgré la ferme résistance de l’ennemi la ville tomba bientôt entre nos mains.

Tout le mois de mars 1862 fut affreux et ne permit pas aux alliés de sortir de Shang-haï ; la pluie, la neige et le vent leur imposèrent une sorte de trêve. Les Français reçurent de Ta-kou une compagnie d’infanterie de marine, et la frégate la Renommée, sur laquelle l’amiral arbora son pavillon, mouilla en rivière, venant de Saigon. Ce renfort important arrivait bien à propos, car la campagne allait se rouvrir par des expéditions plus lointaines, qui demandaient par conséquent plus de monde. Le général Staveley arriva aussi de Tien-tsin et prit le commandement des troupes anglaises. Il amenait avec lui un régiment ; il en demanda un autre à Hong-kong, d’où il fit venir également ses différens services d’intendance, d’ambulance, de génie et d’artillerie.

L’amiral Protet, obligé de tout tirer de son propre fonds, profita de cette relâche forcée pour se créer les ressources qui manquent naturellement à des marins naviguant en pleine terre. Nos hommes possédaient heureusement une merveilleuse aptitude à tout comprendre et à s’adapter à tous les rôles. On les voyait souvent, le soir, immobiles à terre, au port d’armes, sac au dos, guêtres, bourrés de cartouches, couverts de vivres pour cinq ou six jours, après les avoir vus le matin au haut d’un mât, presque nus, luttant contre une voile que les rafales déchiraient. Il y a dans cette élasticité morale et physique le secret de bien des succès remportés par nos équipages de marine depuis les grandes guerres de l’empire. L’amiral eut ainsi relativement assez de facilités pour constituer son petit corps de matelots ; il leur fit faire des reconnaissances, des marches militaires pour les rompre à la fatigue et habituer leurs pieds à porter de lourdes chaussures. Comme pendant quelque