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étaient loin derrière ; les matelots ne pouvaient traverser les arroyos qu’un à un sur des troncs d’arbres ou dans l’eau jusqu’au cou ; l’ennemi gagna du terrain, et la chasse ne fut bientôt plus appuyée qu’aune grande distance. On s’arrêta dès que l’on eut acquis la certitude que les rebelles avaient pris la direction de la ville fortifiée de Tsin-poo. Les camps furent fouillés avec soin ; ils regorgeaient de riz, d’étoffes et d’objets informes pillés de tous les côtés. Rien de hideux comme les logemens où croupissaient pêle-mêle ces hommes d’une saleté repoussante. Des fusils européens, des balles, des poires à poudre ramassées en énorme quantité, prouvaient combien les rebelles trouvaient à s’approvisionner facilement auprès des négocians européens. Les parapets des camps furent détruits, les tentes furent brûlées, et à la lueur de l’incendie les hommes déjeunèrent sur le champ de bataille. Le soir, à quatre heures, ils rentraient au bivouac de Tsi-pao.

Les matelots goûtaient à peine à leur soupe, faite depuis quelques instans, lorsque le cri aux armes retentit. Se précipiter sur les carabines, prendre son rang et sortir de la ville au pas de course du côté de l’ouest, ce fut l’affaire d’un instant. Les nouvelles les plus contradictoires se croisaient pendant la marche. On apprit coup sur coup que l’amiral Hope était dangereusement blessé, que les troupes du colonel Ward avaient subi un échec grave, et que les rebelles les poursuivaient vivement en marchant vers la ville ; mais, comme il arrive toujours en pareille circonstance, les faits étaient grandement exagérés : s’il était vrai que l’amiral Hope avait eu la jambe traversée par une balle, il n’était pas exact que la défaite de Ward eût quelque gravité. Le colonel avait voulu, après la prise de Wan-ka-tse, rentrer directement à Son-kiang, en suivant le canal par terre au lieu de revenir sur ses pas et de faire un grand détour en passant par Shang-haï et le fleuve. Comme tout le monde, il croyait le pays purgé de rebelles ; mais à cinq milles de Tsi-pao il avait butté contre une suite de forts qui lui barraient complètement sa route. Malgré le petit nombre d’hommes qui l’avaient suivi et son manque d’artillerie, il avait voulu donner l’assaut ; il avait été repoussé, mais revenait tranquillement, très peu inquiété dans sa retraite.

Il était nuit déjà, les alliés rentrèrent, et dans le conseil de guerre qui se réunit aussitôt autour du lit du blessé, l’amiral Protet réclama l’honneur de venger son collègue dès le lendemain. Le général Staveley, dont les troupes manquaient de vivres, partit le 5 pour Shang-haï, au moment où les hommes des deux marines et le régiment de Ward sortaient pour détruire ces nids de bandits si heureusement découverts. L’amiral Protet, à peine arrivé, ne laissa pas à l’ennemi le temps de se reconnaître. L’artillerie lança quelques volées en avançant toujours, suivie des matelots en colonnes d’assaut. Les