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réguliers chinois firent un mouvement tournant sur la droite, Ward saisit son drapeau, l’agita et enleva ses troupes ; un immense hourra retentit, tout le monde s’élança : le premier fort fut emporté, puis un second. Cinq de ces camps furent successivement pris, il n’y eut de résistance sérieuse qu’au deuxième. L’ennemi, aveuglé par la peur, tourbillonnait dans la plaine sans pouvoir sortir du cercle de feux dans lequel il était broyé. On trouva d’immenses approvisionnemens, mais très peu de métaux précieux, et les prisonniers, en petit nombre, furent presque tous massacrés, malgré les alliés, par les troupes impériales, qui avaient suivi de loin la marche des colonnes, et venaient s’abattre, après la victoire, comme des corbeaux, sur le champ de bataille.

Le 6 avril, après une interminable étape dans un terrain transformé en tourbière par une pluie battante, les matelots ralliaient Shang-haï et regagnaient leurs navires. Le résultat des deux journées précédentes, 4 et 5 avril, était des plus importans : tout le pays se trouvait dégagé à partir de la rive droite du fleuve jusqu’à la ceinture des places fortes, toujours entre les mains des rebelles. Les habitans de la campagne rentraient par milliers à la suite des alliés, et se mettaient immédiatement, avec la patience et la ténacité des fourmis, à réparer leurs maisons et à ensemencer pour la deuxième fois leurs champs dévastés.

Il ne restait plus aux amiraux qu’à s’emparer de Tseu-pou, dans le Pou-tong, pour compléter la destruction des camps retranchés si laborieusement construits par les rebelles pendant un rude hiver. Le bataillon de zéphyrs et le Monge, arrivés depuis peu à Shang-haï, permirent à l’amiral Protet de jeter, le 18 avril, 700 Français dans le petit arroyo qui menait à Tseu-pou. Les Anglais étaient 1,200, et les deux nations traînaient seize pièces avec elles. À onze heures, après une étape de 18 milles, après les mêmes fatigues qu’à Wan-ka-tse, et malgré de grandes difficultés provenant des ponts coupés par l’ennemi ou de villages barricadés, mais évacués par lui, les alliés étaient en bataille devant le front nord de la ville, attendant l’artillerie anglaise, retardée par son poids. On apercevait un grand nombre d’embrasures percées dans des murailles en terre et garnies de canons. L’ennemi dirigeait un feu nourri de mousqueterie sur nos tirailleurs, envoyés en enfans perdus jusque sous les murs de Tseu-pou, à la faveur des débris de pagodes et de maisons dont la ville était entourée. C’était la première fois que les alliés se trouvaient en présence d’un front à peu près régulier, bien armé et couvrant une grande ville. Malgré l’énorme disproportion entre l’armée assiégeante et les défenseurs, le général et les amiraux, comptant sur leurs hommes et sur leur tir, résolurent d’éteindre le feu de la place, de pratiquer une ou deux brèches et de lancer leur monde à l’assaut.