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passage et coupait la navigation du canal. Trop avancés pour reculer, les Anglais, soutenus par l’artillerie des réguliers de Zi-ka-wei, voulaient tenter un coup de main et enlever la position ; mais le général Staveley, désirant n’attaquer qu’avec toutes ses forces, fit battre en retraite, et les troupes eurent des pertes sérieuses à regretter. Le 28, le convoi et les colonnes entraient à Ne-zian, dont pas une maison n’offrait un abri sûr, tant la rage de tout détruire, même ce qui peut leur servir, anime les rebelles. L’homme, devenu comme une bête fauve à force de vivre dans le sang, finit par s’en prendre aux choses inanimées, et ne peut rien voir debout autour de lui. On bivouaqua dans les rues. Le lendemain 29, à sept heures du matin, les pièces de campagne furent mises en batterie devant la redoute et la pagode fortifiée. Les zéphyrs et les troupes de ligne anglaises commencèrent un mouvement tournant sur la gauche, jetèrent un pont sur un arroyo à 600 mètres de la place ; les marins des deux nations restèrent en colonnes d’assaut et en réserve aux pièces ; on ouvrit le feu à huit heures, et, dès que l’arroyo fut traversé, les matelots coururent à l’escalade. L’ennemi, attaqué de front et par sa gauche, n’attendit pas même le choc : une partie des rebelles se jeta dans le canal pour le traverser et s’y noya ; le reste s’enfuit rapidement dans la direction de Kia-ding.

Les alliés prirent immédiatement la même route, à travers un pays splendide, couvert de moissons, mais où régnait un silence de mort. Les colonnes alliées marchaient lentement en suivant les rives du canal, où çà et là flottaient des corps de femmes, d’enfans et coupés en morceaux. One sourde colère bouillonnait dans le cœur de chaque soldat à la vue de tant d’atrocités, et on oubliait la fatigue du jour en pensant à la vengeance du lendemain. Le 29 au soir, les alliés campaient dans d’immenses faubourgs en ruine, à 800 mètres de la ville, vis-à-vis de la porte du sud. Pendant ce-temps, le convoi avait eu une peine inouïe à traverser Ne-zian. Il fallut décharger les sampans pour les porter vides à dos d’homme et leur faire traverser les obstacles et les plateaux de vase où ils s’échouaient ; mais dans cette lutte où les Anglo-Français étaient engagés, chacun apportait un courage et un dévouement absolus. Arriver quand même était le but de tous ; chaque nation voulait seulement prévenir l’autre, et c’est peut-être la meilleure manière de comprendre et de pratiquer l’entente cordiale. On fit des miracles d’énergie. Le convoi passa et mouilla le soir devant les campemens.

La journée du 30 fut employée à des reconnaissances faites avec soin par le général Staveley et l’amiral Protet. La ville de Kia-ding était fortifiée d’après le procédé ordinaire employé par les Chinois