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Le jeune homme se débattit résolument, cria, échappa aux malfaiteurs, et arriva chez M. Imbert avec la main droite fendue d’un coup de couteau. Celui-ci se rendit immédiatement au sérail, et désigna l’un des deux agresseurs, qu’avait reconnu la victime : on l’arrêta ; il nia d’abord, puis fut forcé d’avouer le fait quand on vit sur ses vêtemens les traces de doigts ensanglantés. Il reçut tout d’abord quelques bourrades et quelques coups de bâton, puis il fut mis en prison, où il était encore au moment où l’affaire nous fut contée. M. Imbert a fait demander, par l’entremise de l’agent consulaire de France à Samsoun, que le coupable fût jugé régulièrement, d’après le nouveau code ottoman, qui punit d’un emprisonnement de trois à cinq ans un pareil attentat sur les personnes. On le lui a promis, mais on ne peut se décider à le faire. Il n’y a pas de jour que quelque Turc influent ne vienne chez M. Imbert le prier de consentir à l’élargissement du prisonnier ; on voulait aussi nous demander d’intervenir. M. Imbert a résisté jusqu’ici ; mais de guerre lasse il finira par céder. Ce que les intercesseurs allèguent pour excuse, et ceci peint le pays, c’est que l’auteur de la tentative aurait songé plutôt à satisfaire un brutal caprice qu’à s’emparer de l’argent. « Quel imbécile, disait l’autre jour à notre compatriote un des beys du pays, quel sot d’être allé s’attaquer à votre domestique ! S’il s’était adressé à tout autre, il y a longtemps déjà que nous l’aurions fait sortir de prison ! »

Notre séjour à Amassia est coupé par une promenade de cinq jours à Zileh, l’ancienne Zéla, célèbre par la victoire que César y remporta sur Pharnace, cette victoire qu’il a racontée en trois petits mots qu’aiment à citer ceux qui voudraient faire croire qu’ils savent le latin. Nous y allions surtout pour tâcher de reconnaître le théâtre de l’action et de suivre sur le terrain le récit si net et si vif d’Hirtius ; par la même occasion, nous avons vu la foire de Zileh, une des plus célèbres et des plus courues de l’Anatolie. On y vient de Diarbékir, de Bagdad, de Damas, d’Alep, d’Angora, de Castambol, des côtes de la Méditerranée et de la Mer-Noire, des bords de l’Euphrate et du Tigre. Beaucoup de boutiques n’étaient pas encore ouvertes ; on déballait partout. C’était pourtant déjà une scène animée et curieuse. Nous allâmes d’abord au bazar arabe, comme on dit ici ; on le reconnaît bien vite aux sons rauques, aux rudes aspirations de la langue qu’y parlent entre eux les marchands, ainsi qu’à leur coiffure, au mouchoir de soie dont les Aleppins entourent leur fez. On trouve là, rangées sur les tablettes des boutiques, les soies de Damas, les étoffes coton et soie de Diarbékir et d’Alep, les mouchoirs et les turbans brodés de larges palmes, dont le goût rappelle celui des cachemires de l’Inde, les keffiehs aux franges pendantes, aux éclatantes couleurs. Au lieu d’être étalée aux regards, comme