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de trophée, après y avoir achevé mes études sans me casser le cou, j’avais conservé l’uniforme de cet excellent établissement. Il consiste en un caleçon rouge très ajusté, un gilet bleu également très étroit, plus une longue ceinture rouge et une paire de bottes jaunes. Sur le pont de notre barque, nous étendîmes une peau de buffle et plusieurs tapis ; puis nous mîmes à la voile sans oublier le cornet à piston de l’ami Malcolm. C’est ainsi que les trois fous de l’île d’Inishail donnèrent chasse à de jeunes et innocens touristes qui, aux premiers bruits du cor, à la vue de cet équipage fantastique, pâles de terreur, ne sachant à quels excès pourraient se porter des hommes ainsi vêtus, se dirigèrent à force de rames vers la rive la plus prochaine. Puis, une fois là, nous les vîmes s’enfoncer en courant dans d’épais fourrés où nous ne jugeâmes point à propos de les poursuivre.

Je proposai alors à Malcolm une partie de natation, qu’il refusa d’abord sous prétexte de migraine à craindre ; mais, comme j’insistais, il consentit. Quelques minutes après, je vis un vénérable vieillard fendre les flots d’un bras encore vigoureux. Il était chauve, majestueux, et tandis qu’il arrivait de mon côté, — nageant à merveille, je dois le dire, — je voyais sa barbe balayer l’onde. Or cette barbe était celle de Malcolm ; mais cette tête ne pouvait être sa tête, car mon hôte avait une profusion de beaux cheveux bruns, tandis que j’avais devant moi un crâne parfaitement dénudé. Le mot de l’énigme et l’explication de cette migraine tant redoutée me furent donnés en même temps lorsque, regardant du côté de la barque, je vis, déposée sur les vêtemens de mon hôte, une magnifique perruque ! Malcolm était un homme de soixante ans, vigoureux et frais comme beaucoup de jeunes gens ne le sont déjà plus. Quelle étonnante élasticité d’humeur, quelle énergie physique dans un vieillard de cet âge qui, après une nuit passée sans fermer l’œil dans cette coquille de noix qu’un saumon aurait pu mettre sens dessus dessous, venait de prendre gaîment sa part d’une équipée de jeunesse, et se jouait dans l’eau maintenant comme un imberbe élève d’Eton ! Encore devait-il accepter, et sans hésitation, une autre partie pour le soir même. C’était un voyage d’exploration sur le lac, le long de ses baies abruptes et de ses anses aux recets mystérieux ; rien moins qu’une tournée de vingt milles, et du double, y compris le retour. Aussi fallut-il faire escale et nous retirer pour la nuit dans une de ces anses que dérobait à la vue un rideau de rochers en marbre noir. Nous y pénétrâmes, Malcolm nous servant de pilote, à la fin du jour, et alors que quelques grosses gouttes de pluie nous présageaient une nuit plus ou moins orageuse, plus ou moins difficile à passer sur notre pont sans abri, car je n’avais pas encore installé