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à un si haut degré les paysages bibliques ? Quand le soleil vient dorer les sables et illuminer la roche aride de ses chauds rayons, ne se croirait-on pas dans une de ces solitudes de la Palestine qui ont vu s’accomplir de si étranges mystères ?

Tous les peuplemens forestiers de Fontainebleau sont enchevêtrés les uns dans les autres avec une telle irrégularité, qu’à chaque pas le paysage prend une physionomie différente. Si vous longez par exemple les hauteurs de la Solle, vous avez à votre droite la vieille futaie du Gros-Fouteau, si grandiose à côté des maigres taillis du Mont-Ussy, à votre gauche se déroule un vaste amphithéâtre de roches grisâtres au milieu desquelles s’élèvent des hêtres branchus et de noirs genévriers ; une plaine immense s’étend à vos pieds, déroulant sous vos yeux, aussi loin que la vue peut porter, une mer de verdure. C’est en automne surtout qu’il faut parcourir cette forêt, quand déjà de pâles brouillards ont panaché le feuillage de mille couleurs, quand la rosée de la nuit a mouillé le sable altéré des chemins, quand la bruyère en fleur répand dans l’air son parfum pénétrant. Ce n’est pas cependant un sentiment de plaisir qu’on éprouve alors, c’est plutôt celui d’une certaine tristesse, car, malgré la variété de ses aspects, la forêt de Fontainebleau a une physionomie monotone ; mais cette monotonie a un tel charme qu’on ne peut s’en arracher, cette tristesse a une telle douceur qu’on peut la comparer au souvenir lointain des personnes qu’on a aimées.

Ce sentiment de tristesse que nous fait éprouver l’aspect de la forêt, il faut l’attribuer, en partie du moins, à l’absence de cours d’eau, dont on a expliqué plus haut les causes géologiques. Le murmure d’aucun ruisseau ne se fait entendre dans le silence des solitudes, et vers le milieu du jour, quand déjà le lapin a regagné son terrier et le chevreuil son fourré, il semble que toute vie se soit éteinte sous ces voûtes inanimées. Le chant d’aucun oiseau ne retentit dans le feuillage muet des grands arbres, aucun insecte ne fait entendre son bourdonnement monotone, aucun papillon ne vient d’une aile indécise se poser sur le calice des fleurs absentes. Tout se tait, tout est calme, rien que la fourmi travaillant sans relâche à son palais de sable, ou la vipère endormie, roulée sur elle-même, dans l’ornière du chemin. Solitaire sans être sauvage, cette forêt n’a rien d’abrupt ni de heurté ; on n’y trouve pas l’exubérance d’une nature vierge, mais la douce harmonie des ruines sur lesquelles les siècles ont passé. Quelques-uns s’en plaignent, et bien à tort peut-être. N’a-t-on pas projeté sous le premier empire, pour lui donner un peu plus d’animation, d’y creuser un canal et de joindre le Loing à la Seine par une rivière artificielle qui devait traverser la forêt d’un bout à l’autre ? Un pareil embellissement lui eût enlevé tout son