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gibier sert, dans une certaine mesure, à l’alimentation, moins cependant qu’on ne le croit, car si l’on pouvait compter ce qu’il nous mange de blé, d’avoine, de trèfle, de pommes de terre ou de bois, peut-être serait-on étonné du résultat ; mais, en admettant même qu’il ne coûte pas plus cher qu’il ne vaut, ce qui est pure concession, on se demande en quoi ce genre d’alimentation est plus digne de la protection de la loi que tout autre. L’élève du bétail par exemple n’a pas besoin de l’intervention du gouvernement pour faire face aux exigences de la consommation, et il en sera de même de la production du gibier le jour où celui-ci se vendra assez cher pour que certains individus trouvent un intérêt à s’y livrer.

La suppression de la loi ne détruirait pas d’ailleurs le plaisir de la chasse, car les propriétaires resteraient toujours maîtres d’agir dans leurs domaines comme ils l’entendraient et de faire poursuivre comme voleurs ceux qui viendraient y chasser sans leur autorisation[1]. L’état et les communes continueraient à louer leurs forêts aux conditions qu’il leur plairait d’imposer, de manière à les garantir contre les dégâts des animaux. Quant aux particuliers, ils ne seraient plus dans cette singulière position de pouvoir, à une certaine époque de l’année, détruire jusqu’à la dernière tête le gibier que contiennent leurs bois, et de ne pouvoir à tout autre moment y tuer même un chevreuil, s’ils en ont envie.

Un autre fait qui prouve l’inutilité des lois sur la chasse, c’est qu’elles ne nous ont pas délivrés des braconniers, qui tuent vingt fois plus de gibier que les vrais chasseurs. Dans la forêt de Fontainebleau, comme dans toutes celles de la liste civile, le braconnage est un délit très commun en même temps que très productif. Les gardes ont beau être sur pied nuit et jour, ils ne peuvent l’empêcher. Ceux qui en font leur métier commencent par étudier avec soin les mœurs et les habitudes du gibier. Couchés, immobiles, le long des routes ou au milieu des fourrés, ils restent pendant des journées entières à observer les passages les plus fréquentés. Une fois ceux-ci reconnus, ils tendent leurs lacets, qui sont des fils de laiton formant un nœud coulant. Ils les fixent à un jeune arbre dont ils inclinent la cime vers la terre, et qu’ils assujettissent dans cette position comme un arc tendu. Un cerf ou un chevreuil vient-il à passer, il se prend dans le nœud coulant ; l’arbre aussitôt, se détendant comme un ressort, se redresse, enlevant avec lui le pauvre animal suspendu, qui périt étranglé sans pouvoir se débarrasser de cette

  1. En laissant chacun libre de chasser chez lui, il faudrait faire une exception pour les oiseaux insectivores, dont la destruction devrait être défendue d’une manière absolue. Il s’agit en effet ici d’une question d’intérêt général qui motive parfaitement l’intervention de la loi.