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avec la vérité, est en outre un organe particulier au pays et aux temps où nous vivons. S’il y a au monde un domaine qui lui soit départi, où elle ait toute son action et toutes ses prises, c’est la France. Ajoutons que s’il y a une œuvre, un fruit naturel de l’opinion en France, c’est la liberté.

Où prenez-vous, nous dira-t-on, que la France ait ce privilège inouï de se gouverner par l’opinion, c’est-à-dire d’ignorer ou de borner l’empire de la force, l’empire du hasard, et de vivre d’esprit en quelque sorte ? Je prends ceci où je le trouve, c’est-à-dire dans le plus grand trait de notre histoire et de notre naturel, dans ces facultés de l’esprit que nous eûmes toujours prédominantes, accusées entre toutes, au point même d’exercer au dehors cette magistrature déplorée par M. de Maistre. Quand un peuple a certains dons assez riches pour l’expansion et le débordement, il y paraît d’abord chez lui, à son propre fait. De là parmi nous deux grandes choses, — sociabilité, prépondérance d’une capitale, — qui tiennent d’une manière directe à notre tempérament d’esprit.

Il n’est rien comme la sève des intelligences pour déterminer le contact, la rencontre des personnes. Que faire d’idées vives et abondantes, si ce n’est de les échanger ? Or cet effet d’esprit dont le nom est sociabilité devient cause à son tour, la cause qui attire les hommes, qui les groupe dans certains rendez-vous, et finalement qui forme une capitale. Comme c’est là qu’aboutissent les intelligences, c’est là aussi qu’elles ont leur centre d’action, leur foyer de propagande, élaborant et mûrissant les idées de toute sorte, les idées politiques surtout : c’est de là qu’on voit partir ces grands courans de l’opinion, ces grandes projections de l’intelligence, qui maîtrisent tout, qui contiennent l’avenir, qui préparent les faits dans les âmes et les événemens par la culture assidue des causes morales.

Que la France soit le pays des idées, il y en a certaines traces notables qui ne sont pas d’hier. Un savant écrivain a raconté cette renaissance intellectuelle qui, dès le XIe siècle, éclata en France et charma l’Europe. Tel autre esprit, du point de vue de l’Espagne, arrive aux mêmes aperçus que M. Littré, et, contrairement à l’opinion commune, reconnaît la France dans les drames, dans les chants qui retentissent au-delà des Pyrénées, par exemple dans le Romancero du Cid. L’idée française n’est précoce que parce qu’elle est puissante, et cette puissance est celle de son propre fonds. « Où donc est écrite votre loi salique ? disait un étranger narquois à Jérôme Bignon. — Es cœurs des Français, » répondit Bignon. On sait que la coutume de Paris régna longtemps, je crois même qu’elle passa les mers (c’était le droit commun des colonies), avant d’être rédigée.