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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/177

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De même qu’on voit en ce pays des lois obéies qui ne sont pas lois écrites, on y voit des personnes et des classés exercer une grande action sur la marche du gouvernement sans être des pouvoirs publics. Au XVIIIe siècle, la noblesse n’était plus un ordre dans l’état, un ordre du moins convoqué et écouté ; toutefois son influence fut considérable comme élément de l’opinion, comme patronage des idées nouvelles, et de l’inquiétude, de la curiosité d’esprit qui aboutirent à 89. — Nous tenons là un cas étrange entre tous, et qui vaut la peine qu’on s’y arrête.

Jamais la noblesse n’avait fait parmi nous le même personnage qu’en Angleterre, où elle s’appuyait sur le peuple et stipulait pour lui. Ce n’est pas elle qui revendiqua, c’est Colbert qui institua parmi nous une protection du laboureur et de ses instrumens de travail analogue à ce qu’on trouve dans la grande charte. Comme pouvoir public, elle ne pourvut, elle ne veilla qu’à ses intérêts de caste, à ses prérogatives et à ses profits. On sait que ce pouvoir parut pour la dernière fois aux états-généraux de 1614, et ce fut pour répudier par la voix de son président certaine comparaison des deux ordres à deux frères qui avait échappé à l’orateur du tiers-état. Mme de Motteville a rapporté les propres termes de cette objurgation, et l’on ne saurait en imaginer de plus hautains, de plus absolus en doctrine et en orgueil… Or à un siècle de là environ florissait le marquis de Mirabeau, l’ami des hommes, et tant d’autres, pleins du même langage, qui dirent leur dernier mot, qui abdiquèrent, comme on sait, à la nuit du 4 août.

Cela est merveilleux. Qui pourrait dire par où passent les âmes pour virer de la sorte ? D’où descendent-elles sur les esprits, ces langues de feu qui vont brûler l’erreur jusque dans son gîte immémorial, l’erreur même des intérêts ? D’où vient qu’à certains momens les fils ne continuent pas leurs pères ? La tradition, qui est une loi tout aussi certaine que le progrès, comment s’interrompt-elle ? Pourquoi y a-t-il dans tel cas l’attraction et dans tel autre la répulsion des exemples ?

On peut soupçonner deux choses dans le cas particulier qui nous arrête : l’action de la vérité sur les intelligences, et la sécurité parfaite dont jouissaient les abus. Ils ne croyaient pas s’ébranler en s’avouant, en s’accusant ; si ancienne était leur possession, et si indestructible d’apparence ! Ils cédaient naïvement à l’attrait d’une vérité qui leur semblait sans péril. Sans insister sur cette considération un peu superficielle peut-être, sans chercher des raisons plus profondes qui feraient digression, supposé qu’on les trouvât, je veux seulement remarquer ici l’aptitude particulière des esprits français à bondir par-delà les grossièretés visibles et officielles, à