et ceci est à considérer pour tout le monde. — Tel gouvernement, tel peuple !
Les peuples et les gouvernemens ont sans doute une action réciproque par où ils se déterminent les uns les autres, et ne peuvent différer sensiblement ; mais la plus grande somme d’action est avec les gouvernemens, parce qu’ils ont pour eux la force et le prestige, f autorité de toute sorte. Or cette influence officielle est la corruption même, et la plus profonde qui puisse pénétrer un peuple, quand les gouvernemens, ces organes du droit, qui manient au nom du droit la troupe, les juges, l’échafaud, abusent de tout cela pour leur bien propre, érigé en salut public et en loi suprême. Un peuple mis à ce régime aura peut-être encore la vertu de se révolter ; c’est tout ce qu’on peut en attendre : il n’aura pas celle de modérer sa révolte. Et la faute en est aux gouvernemens : ils ont les aventures qu’ils méritent et des rebelles à leur image. C’est pourquoi telles révolutions ont eu lieu de nos jours, aussi différentes de l’an de terreur 93 que le gouvernement de juillet et même que le gouvernement de la restauration différaient de l’ancien régime.
Le droit fait le droit, tout comme il y a les entraînemens de l’abîme ; mais cette leçon vient surtout des gouvernemens, instituteurs des peuples, qui doivent enseigner la justice en la pratiquant aussi bien qu’en l’imposant. Parmi nous, ils sont les premiers coupables, avec leurs exemples et leurs déclamations, du travers national qui est de demander l’ordre à tout prix et d’abdiquer les droits du pays atout propos, à la moindre alarme, entre les mains du pouvoir exécutif. Ceci, je le répète, est la dépravation que comporte l’esprit français. Maintenant croyez-vous que l’on y remédierait en dispersant le pouvoir, en brisant son unité, c’est-à-dire en abolissant la centralisation ? Est-ce que le même préjugé ne ferait pas le même abus de chaque fragment de souveraineté ? La centralisation du pouvoir n’a rien de commun avec ses excès, et la dissémination du pouvoir dans les localités ne serait nullement une garantie de sa modération. En France, le pouvoir n’a pas besoin d’être central pour se permettre ou pour qu’on lui permette une infinité d’usurpations. La preuve en est dans tous ces arrêtés de police municipale, dans tous ces règlemens d’octroi municipal qui essaient si volontiers la tyrannie et l’exaction. Le gouvernement et les tribunaux ont fort à faire pour réprimer ces entreprises malfaisantes, pour les annuler ou les traiter comme nulles. Parmi des gens où telle est la notion et la tendance du pouvoir, vous le couperiez en mille morceaux qu’il reparaîtrait sur tous les points avec les mêmes instincts, rencontrant chez les gouvernés le même concours d’obéissance. C’est de ce côté que nos mœurs et nos lois sont à déraciner, à transfigurer.