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versets de la Genèse relatifs à la formation de la terre, il soit prêt à faire d’aussi larges concessions en ce qui concerne la création de l’espèce humaine, soit plutôt qu’on croie pouvoir abandonner à la, critique scientifique elle-même le soin de combattre des théories anthropologiques fondées sur l’hypothèse, encore peu en faveur,. de la transformation des espèces.

L’ouvrage de M. Ch. Darwin sur l’origine des espèces[1] a été le point de départ du mouvement scientifique dont nous voudrions. aujourd’hui exposer les résultats principaux. On nous permettra de rappeler en peu de mots les théories de M. Darwin. Ce savant observateur a relevé avec beaucoup d’habileté ce qu’il y a de factice et d’artificiel dans les caractères de nos espèces et de nos variétés animales ou végétales, pour affaiblir en quelque sorte la définition de l’espèce. Il a pris pour base de son système le fait incontesté de la reproduction des caractères organiques par voie d’hérédité. Si une variété jouit de caractères spéciaux, transmissibles de génération en génération et capables de lui donner quelque avantage dans la lutte incessante que se livrent tous les êtres à la surface de la planète, les variétés moins favorisées doivent disparaître forcément devant elle. Lamarck avait déjà reconnu l’influence du milieu ambiant sur les êtres animés ; mais M. Darwin a bien fait ressortir, et, c’est son principal mérite, que dans le milieu ambiant il faut comprendre non-seulement les actions physiques, mais encore la réaction de toute la nature vivante sur chacun des êtres qui s’y trouvent embrassés. À la faveur de ces solidarités multiples, de ces conflits perpétuels, s’opère ce que M. Darwin a heureusement appelé la sélection naturelle. Continuée pendant une série d’âges qui ne se mesure ni par des siècles, ni par des milliers, ni même par des millions d’années, cette sélection amena la transformation continuelle des espèces en variétés et des variétés en espèces.

Sir Charles Lyell, l’un des géologues anglais les plus éminens, était tout préparé à accepter les doctrines de M. Ch. Darwin, car dans ses ouvrages, devenus presque classiques en Angleterre, il avait toujours invoqué ce qu’il nomme les causes actuelles, c’est-à-dire les forces que nous voyons agissantes autour de nous, pour expliquer tous les phénomènes du passé aussi bien que ceux du présent. Pour lui, la terre n’a jamais été, comme l’ont pensé Cuvier, Léopold de Buch, Humboldt, M. Élie de Beaumont, le théâtre de révolutions violentes et subites. Les formes extérieures de notre globe se sont graduellement modelées, en même temps que la faune et la flore s’y transformaient insensiblement. Une série de changemens infiniment petits continués pendant un temps infini : en ces

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1860.