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quelques mots peuvent se résumer toutes les leçons de l’école géologique dont sir Charles Lyell est le chef reconnu. L’histoire de l’homme devant prendre sa place dans cette succession indéfinie d’événemens, sir Charles Lyell a été conduit à attribuer à notre espèce une très haute antiquité, et a cherché à en fournir la démonstration géologique.

La zoologie, pendant le même temps, abordait le problème de nos origines par un autre côté. Les argumens anatomiques qu’elle emploie de préférence se trouvent condensés dans un petit volume de M. Huxley, écrit d’une plume vive et acérée. Le titre de l’ouvrage, la Place de l’homme dans la nature, est illustré en quelque sorte par la gravure qui sert de frontispice. On y voit debout, l’un derrière l’autre, les squelettes du gibbon aux longs bras, de l’orang, du chimpanzé, du massif gorille, enfin de l’homme. Ce dessin résume du moins la partie anatomique du livre, car les conclusions de M. Huxley ne sont point celles d’un matérialisme grossier ; suivant lui, ce n’est point par quelques détails anatomiques que nous nous distinguons des grands singes anthropoïdes ; c’est par quelque chose qui est encore et qui nous restera peut-être toujours inconnu.

Avant d’entrer dans l’examen détaillé des preuves géologiques et zoologiques qu’on invoque pour prouver l’ancienneté de l’espèce humaine, il n’est peut-être pas inutile de prévenir le lecteur qu’on ne le conduira point sur un champ de bataille, au lendemain d’une grande victoire, mais au milieu même de la mêlée où s’agitent les passions scientifiques les plus ardentes. D’un côté, j’ai déjà nommé Darwin, Lyell, Huxley ; de l’autre, on peut citer Richard Owen, le savant directeur du British Museum, et le célèbre naturaliste Agassiz. La lutte actuelle n’est point de celles dont on puisse attendre l’issue avant d’en raconter les premières péripéties.


I

Le problème de l’antiquité de l’espèce humaine ne se définit pas de la même manière pour l’archéologue et pour le géologue. Le premier a une chronologie rigoureuse, mais bornée par nos connaissances historiques : tout ce qui recule au-delà des premières civilisations ouvertes à ses recherches se confond pour lui dans la plus haute antiquité. Le géologue mesure le temps autrement que par les années : qu’on lui montre un débris de l’industrie humaine, il lui importe assez peu que ce fragment ait dix mille, vingt mille ou cent mille ans de date ; il veut savoir si on l’a extrait d’un terrain antérieur à ceux que déposent actuellement nos mers, nos lacs et nos fleuves, et renfermant les débris d’espèces animales aujourd’hui éteintes. L’archéologue, en un mot, cherche l’homme ancien, le