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nous assistons pourtant à l’évolution d’un système de gouvernement qui est investi d’une force administrative presque irrésistible, et qui ne doit encore à la liberté aucun élément de cette force. S’il est incontestable que le suffrage universel dans son entier développement est inséparable des libertés politiques les plus larges, si la logique exige impérieusement que le suffrage universel s’exerce dans la plénitude de la liberté de la presse, de la liberté de réunion, de la liberté électorale, il n’est pas moins évident que le gouvernement, tout en prenant sa base dans le suffrage universel, a non-seulement la prétention, mais le pouvoir de diriger administrativement ce suffrage. Cette contradiction entre le principe constitutionnel et le fait administratif est trop violente pour devoir être durable. Le temps finira par la faire éclater. Elle disparaîtra un jour devant une réaction inévitable de l’esprit public. Ce jour peut être avancé quelque peu sans doute par la constance des controverses même dans les étroites limites où la presse est renfermée, il peut être avancé aussi par la discussion au sein du corps législatif ; mais il ne faut point se faire d’illusion : les polémiques de la presse, l’action même exercée au sein du corps législatif ne peuvent guère avoir que la vertu d’une protestation morale qui ne laisse point oublier et périmer le droit. Le système actuel est trop fortement combiné pour pouvoir être arrêté dans sa marche par quelques élections d’opposition : il poursuivra son évolution jusqu’au bout ; les difficultés qu’il se suscitera à lui-même et la pression des événemens pourront seules produire le mouvement d’esprit public qui nous ramènera vers la liberté. Nous n’en sommes point là encore, et si l’attitude de réserve et de froideur que nous avons prise à l’égard de la question électorale avait besoin d’apologie, nous n’aurions qu’à rappeler quelques-uns des faits qui se sont passés depuis quinze jours.

Les derniers actes du gouvernement, les dernières paroles de ses orateurs au corps législatif prouvent qu’il est décidé à empêcher autant que possible les hommes de l’opposition de faire au corps électoral cette sorte d’avances qui est l’accompagnement obligé de toute candidature avouée. Qu’on y prenne garde : le serment préalable est imposé aux candidats par la législation actuelle ; par conséquent, à moins d’être invité par une démarche positive des électeurs à se mettre sur les rangs et à se plier aux conditions de la candidature, tout candidat est forcé de se présenter lui-même. Cet acte d’initiative qui consiste à se proposer soi-même au choix de ses compatriotes ne convient pas à la dignité de toutes les positions : c’est déjà une entrave sérieuse apportée à la liberté électorale qu’une telle condition préalable lui soit imposée ; mais passons. Le serment est exigé ; supposons que l’on soit décidé à le prêter. On admet généralement que la question du serment est une affaire d’appréciation individuelle, on suppose par conséquent que le serment est un acte susceptible d’interprétations diverses. On doit admettre alors qu’il soit permis aux candidats de