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faire connaître au public le sens qu’ils attachent au serment. La question n’est pas simple en effet : le serment actuel est à deux branches, il s’adresse à la constitution d’abord ; à la personne du prince ensuite. Il y a donc à définir le sens du serment en tant qu’il est prêté à la constitution, et en tant qu’il est prêté à la personne de l’empereur. Nous conseillons à ceux qui ne se douteraient point de l’importance et de la délicatesse de cette question de lire la brochure que M. Proudhon vient de publier sous ce titre : les Démocrates assermentés et les Réfractaires. Nous ne suivons point M. Proudhon dans toutes ses conclusions ; mais nous n’hésitons pas à dire que cet écrit est la production la moins paradoxale et la plus substantielle de ce dialecticien a outrance. M. Proudhon y analyse le suffrage universel, base de notre droit public, avec une exactitude et une précision remarquables ; il nous paraît irréfutable quand il établit les formes, les conditions et les garanties du suffrage universel. M. Proudhon, ne trouvant point dans la pratique actuelle les formes, les conditions et les garanties du suffrage universel, veut persuader au parti démocratique que ses principes lui prescrivent l’abstention dans les élections prochaines. Le serment lui paraît incompatible avec l’esprit même de la constitution. « Si l’empereur, dit-il, est responsable comme l’était avant et après le 2 décembre le président de la république, la formalité du serment imposée aux députés demeure sans effet, puisque les députés ont pour mandat de contrôler au nom du peuple les actes du gouvernement, et qu’à cet effet ils ont la faculté de refuser l’impôt, ce qui suppose que lesdits contrôleurs sont indépendans du prince, non inféodés par serment à sa prérogative. Si au contraire on soutient que ce serment est valide, alors c’est la responsabilité impériale qui devient nulle, aussi bien devant les électeurs que devant les députés. » Nous ne disons pas que M. Proudhon ait raison de recommander l’abstention ; nous signalons son opinion sur le serment sans en prendre la responsabilité. Nous disons seulement que la question du serment, la première que l’on rencontre dans cette Campagne électorale, devrait pouvoir être élucidée et définie par une discussion contradictoire. Le lieu où cette discussion devrait s’engager est naturellement la presse quotidienne ; mais cette question vient d’être retirée du domaine de la presse par M. le ministre de l’intérieur. Un journal Influent, dans un article remarquable consacré aux prochaines élections, avait effleuré la question du serment : il avait indiqué en passant une des significations qui peuvent, suivant lui, s’y attacher, et cela dans un langage plein de respect pour la légalité actuelle, sans viser d’ailleurs à donner une interprétation dogmatique de cette prescription constitutionnelle. Ses intentions de prudence et son parti-pris d’être orthodoxe ne lui ont servi de rien. Il a reçu du ministre de l’intérieur un avertissement où est fixée l’interprétation officielle du serment. Voilà désormais une question interdite à la presse. Voilà en outre un journal privé de la liberté de ses mouvemens et de son efficacité par une sévérité administrative. Il vaut bien la peine