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de faire sortir ses canons pour la bataille quand on a d’avance la certitude qu’ils seront encloués avant même qu’on ait combattu ! Supposez que d’ici aux prochaines élections chaque journal d’opposition ait reçu deux avertissemens, et nous demandons à quoi pourra servir la presse dans la lutte électorale l Nous allons plus loin : quand même on serait sûr qu’un avertissement par journal d’opposition nous rapporterait l’élection d’un député libéral, nous demanderons si l’on croit sérieusement qu’une pareille compensation fût un gain pour la cause de la liberté !

Voilà qui est donc entendu : on ne pourra pas parler dans la presse, c’est-à-dire qu’on ne pourra pas parler du tout, de la question que l’on rencontre au prodrome des élections, le serment. L’essence du suffrage universel est d’être une manifestation collective d’opinions. Les opinions dans la lutte électorale ont donc besoin de se rallier sous des dénominations collectives. On commençait à désigner les candidats de l’opposition sous le nom général de candidats indépendans. Cette dénomination est désormais interdite, le Moniteur nous en a prévenus. C’est la situation générale des partis qui leur donne ordinairement les noms qu’ils portent. Il y aura chez nous dans les élections deux positions bien différentes et fort nettement tranchées pour les candidats. Les uns se présenteront sous le patronage non-seulement avoué, mais actif, de l’administration ; les autres ne craindront pas d’entrer en lutte avec l’administration, et feront appel uniquement à la liberté des électeurs. Comment qualifier ces deux situations ? Évidemment la situation de ceux qui non-seulement ne sollicitent pas le patronage de l’administration, mais sont résolus à la combattre, est une situation d’indépendance vis-à-vis de l’administration. Les candidats au contraire qui recherchent la protection administrative, et qui en profitent, sont-ils à l’égard du gouvernement dans la même situation d’indépendance ? La réponse à cette question, ce n’est pas nous qui la ferons ; il semble que le gouvernement l’ait déjà faite lui-même par la politique qu’il suit dans les élections. Des députés qui sont entrés au corps législatif grâce à la recommandation administrative se voient aujourd’hui retirer le patronage du gouvernement. Nous avons entendu, dans une des dernières séances du corps législatif, les doléances de quelques-uns de ces députés infortunés, la mélancolique élégie de M. de Jouvenel, l’interpellation belliqueuse de M. Lemercier, le spirituel acte de contrition de M. de Pierre. Tous trois, comme M. de Flavigny et d’autres encore, après avoir été les candidats de leurs préfets en 1857, ils auront le malheur de ne l’être plus en 1863. Pourquoi la disgrâce qui les atteint épargne-t-elle leurs collègues ? Si le gouvernement retirait sa protection à des députés qui ne l’ont jamais contrarié par une parole ni par un vote, nous serions fort en peine de répondre à cette question ; mais notre embarras cesse lorsque nous voyons que la faveur du pouvoir est conservée à ceux qui ne se sont jamais séparés de la politique du gouvernement, et qu’elle est retirée à ceux qui ont