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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/252

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M. Van Hasselt évoque successivement et fait parler l’étoile de Bethléem, les temples païens, l’église future, un rocher de Syène, un marais, la harpe de David, l’avenir, le Golgotha, les coteaux d’Engaddi, l’éponge du Calvaire ; j’en passe la moitié. Voilà de singuliers personnages ! Les poésies de l’auteur dénotent un vif désir d’omnipotence littéraire ; mais tout en lui est artificiel, et c’est pourquoi il n’embrasse que de pâles effigies, privées de sang, de couleur et de mouvement. Retenu par le poids des vérités qu’il porte, M. Van Hasselt ne saurait ni courir ni marcher, et reste majestueusement en place. Il voudrait cependant avoir a le pied familier avec l’inaccessible, » ce qui ne laisse pas d’être malaisé ; mais rien ne coûte à qui rêve. Seulement, pour faire entendre


....... aux foules amassées
La langue des grands cœurs et des mâles pensées,


il faut d’abord avoir des pensées et une langue intelligibles, une sensibilité qui émeuve les cœurs ; il faut écarter le voile des légendes, au lieu de l’épaissir. On acquiert ainsi quelque droit aux sympathies de la foule, on gagne en chaleur et en force tout ce qu’on perd en gravité de commande.

Continuons courageusement la tâche commencée. Les Légendes dorées[1] de M. Charles Fournel empruntent leur titre au recueil fameux de Jacques de Voragine, bien que M. Fournel prenne de toutes mains les légendes qu’il rime. Si celle de Saint Christophe par exemple est donnée par Jacques de Voragine, celle de l’Homme et la Mort est prise dans la Bibliothèque bleue, et n’est qu’une version de l’histoire du Bonhomme Misère, bien plus intéressante sous la forme traditionnelle que dans les vers de l’auteur, où l’on reconnaît l’influence du conte napolitain recueilli par M. Prosper Mérimée dans Federigo. La légende du Moine et de l’Oiseau céleste est extraite d’un sermon de Maurice de Sully, évêque de Paris au XIIe siècle, et M. L. Moland cite le texte même dans le livre des Origines littéraires de la France. M. Fournel aurait pu indiquer ces sources diverses dans un court appendice ; le volume y eût gagné d’être plus complet et plus curieux. Plusieurs de ces légendes rimées renferment de jolis vers et des tableaux empreints de la couleur chrétienne des vieux temps. Pourtant l’archaïsme de M. Fournel n’est pas toujours acceptable. « Ces emprunts au langage du passé, dit-il, ne sauraient m’être reprochés ; nous avons le droit de puiser au trésor que nous ont laissé nos pères… Les fables et les diverses poésies du plus charmant auteur du temps de Louis XIV ne contiennent que très peu de vers écrits dans la langue de Boileau et de Racine : c’est un illustre exemple. » Rien de plus vrai ; mais un tout petit point décide l’usage ou l’abus : La Fontaine est un grand artiste, et tel n’est point le cas de M. Fournel. Il manie mal le vers libre, si léger aux mains

  1. Légendes dorées, par M. Charles Fournel. — Durand et Aubry, 1862.