Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eut pas seulement la revanche des races vaincues, la revanche de l’Espagne, de l’Afrique, de l’Orient, des Gaules ; il y eut aussi d’une manière plus générale la revanche des esclaves. Il le dit expressément, « le règne de Claude fut une sorte de réaction des esclaves ; ils gouvernèrent à leur tour, et les choses n’en allèrent pas plus mal. » Il faut voir, dans le résumé si expressif de M. Michelet, le gouvernement des affranchis sous l’empereur Claude, « gouvernement d’autant moins national qu’il était plus humain[1]. » Ce caractère anti-romain de l’administration des césars, ce désir d’étendre le droit de cité à tout l’univers, ce sentiment d’une large et libérale humanité, toutes ces choses que Suétone, indique, que Tacite condamne, que la vieille histoire ne soupçonnait pas, et qui viennent d’être mises si savamment en lumière, M. Michelet avait eu le mérite de les signaler un des premiers, avant M. Mommsen, avant M. Amédée-Thierry. On ne fait pas ici cette remarque pour diminuer la part d’originalité que peut revendiquer M. Thierry, cette part est grande et bien acquise ; on veut seulement prouver, par ces témoignages divers, que les découvertes de M. Thierry ne sont pas des paradoxes, et que tout observateur sérieux, s’il considère l’empire du fond de la bourgade celtique, doit porter le même jugement. Trente ans avant M. Amédée Thierry et M. Théodore Mommsen, M. Michelet avait osé contredire Tacite et remercier l’administration impériale au nom de l’univers affranchi. Il rappelle que Claude ne cachait pas sa prédilection pour les provinciaux ; qu’il écrivit l’histoire des races vaincues, celle des Étrusques, de Tyr et de Carthage, « réparant ainsi la longue injustice de Rome, » qu’il fut le protecteur des esclaves et les défendit contre l’inhumanité de leurs maîtres. Il rappelle que sous Claude, sous Néron, sous Donatien, l’exécrable barbarie du druidisme fut anéantie par l’armée de la civilisation, car les infamies de cinq ou six monstres, si bien stigmatisées par Montesquieu, n’empêchaient pas le système nouveau de produire ses fruits (c’est là ce que Montesquieu n’a pas vu) et de sauver le genre humain. Rome, sous l’empire, ne s’appelle plus Rome, elle s’appelle le droit et l’humanité. Le droit civil se développe sous les plus mauvais empereurs. Si Tibère et Domitien, dans toutes les questions d’équité civile, sont des justiciers intègres, que sera-ce sous les grands hommes, sous les Aurélien et les Probus ! A toutes les heures décisives de l’histoire de l’empire, on voit qu’une tâche immense pèse sur l’univers en travail. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le mot triste et courageux tout ensemble de Septime-Sévère à son lit de mort : laboremus. C’est en ce sens que

  1. M. Michelet, Histoire de France, t. Ier, chap. III : la Gaule sous l’Empire.