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Dans ce grand éclat, dans ces manifestations au grand jour de l’irritation que très certainement il éprouvait, tout était-il d’une sincérité absolue ? On peut en douter, nous le croyons, sans faire tort à la mémoire honorée du ministre piémontais. S’il s’agissait de Garibaldi, nous ne rabattrions pas un mot de ces paroles extrêmes, de ces apostrophes émues, de ces conseils violens ; mais il s’agit de M. de Cavour, c’est-à-dire de l’homme d’état le plus délié, le plus habile, le plus mesuré peut-être qu’on ait vu prendre part aux affaires contemporaines. Il est donc permis de croire que, même alors, même en présence d’une déception qui devait lui être plus cruelle qu’à personne, il n’avait perdu ni le sentiment exact du dommage porté à la cause italienne, ni la faculté d’apprécier les avantages immenses qui servaient de compensation à ce dommage. Après quelques semaines de campagne voir l’Autriche abaissée, Novare vengé, la Lombardie au Piémont, les duchés rendus à eux-mêmes, les révoltes de l’état romain consacrées par le principe de non-intervention, n’était-ce donc rien ? M. de Cavour pouvait-il méconnaître la grandeur de pareils résultats ? ne devait-il pas, venant à y réfléchir, trouver là d’efficaces consolations pour le déboire amer de son ambition patriotique ? Mais il ajournait au lendemain ces retours à la clairvoyance, à la modération, et en ceci, convenons-en, il se montrait encore très habile politique. Pour rester maître de l’explosion de colère qu’il pouvait prévoir dans tout le pays, il fallait s’y associer largement, devancer les cris qu’on allait pousser, exagérer les plaintes qui allaient se produire. Personne, pas même Garibaldi, ne devait paraître s’associer mieux que Cavour à l’immense douleur que l’Italie allait ressentir. À ce prix, et à ce prix seul, le ministre conservait, avec son influence intacte, la haute direction des événemens. Par le fait, quand Garibaldi accourut de Lovere, au premier bruit de paix, apportant sa démission et celle de tout son état-major, il était devancé. Cavour avait remis son portefeuille aux mains du roi, qui ne voulut pas accepter la démission de Garibaldi, et parvint à la lui faire retirer. De ce roi soldat on aurait pu attendre quelque coup de tête ; il n’en commit aucun et garda l’attitude de résignation forcée, de mécontentement comprimé, qui convenait le mieux aux nécessités du présent, tout en laissant subsister les chances de l’avenir. Parfois une brusque saillie indiquait et marquait spirituellement cette attitude. Lorsque par exemple il fit à Milan son entrée officielle (le 10 août), le maréchal Vaillant était venu à sa rencontre avec un nombreux état-major dans les rangs duquel se trouvait un général que Victor-Emmanuel avait beaucoup vu à Paris en 1856. Comme ce militaire, tout récemment arrivé, lui manifestait le regret de ne s’être trouvé ni à Magenta, ni