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grand patriote, elle allait remettre en ses mains toute autorité.

Il aimait Florence et l’Italie et il aimait la liberté. À la grande cause de la liberté politique se rattachait inévitablement, dans sa pensée, celle de la moralité et de la religion des peuples ; la tyrannie démoralisatrice et énervante des Médicis était pour lui, au nom de cette doctrine généreuse, la plus dangereuse ennemie. On sait quels furent ses rapports avec Laurent le Magnifique. Laurent, déjà en proie aux angoisses de la mort, lui rendit un éclatant témoignage. Sachant jusqu’où on portait la corruption et la servilité autour de lui et que pas un prêtre ne lui oserait refuser l’absolution, il ne trouvait à ces derniers secours d’une église avilie et mercenaire aucune saveur, aucun prix, aucun soulagement efficace. Le remords agitait ses derniers momens, et sa conscience ne rencontrait aucune aide. Au milieu de ce tourment, il se rappela Savonarole : « Je ne connais de vrai religieux que celui-là, » dit-il, et il le fit mander. Il avait trois fautes à lui confesser, pour lesquelles il sollicitait son absolution : c’était le sac de Volterra, le vol au détriment du Mont-des-Filles (il Monte delle Fanciulle), et le sang par lui versé à la suite de la conjuration des Pazzi. Sous l’impression terrible de ces souvenirs, la parole du moribond devenait ardente et oppressée ; Savonarole, assis au pied du lit, tentait de le calmer en disant : « Dieu est bon, Dieu est miséricordieux. — Toutefois, ajouta-t-il dès que Laurent eut fini de parler, il faut ici trois choses : la première est d’avoir une foi vive dans la miséricorde divine. — Je l’ai, répondit Laurent. — La seconde est d’ordonner la restitution de tout l’argent iniquement enlevé. » Après quelque hésitation et malgré une répugnance évidente, Laurent fit de la tête un signe affirmatif, puis il attendit avec une visible anxiété. « Le troisième point, dit Savonarole, c’est de rendre la liberté au peuple de Florence, » à quoi Laurent de Médicis, rassemblant ce qui lui restait de forces, sans prononcer une parole, leva les épaules avec l’expression d’un suprême dédain. Savonarole partit, sans lui donner l’absolution, et Laurent, peu d’heures après, rendit l’âme.

Nous venons de résumer le récit du plus grand nombre des biographes. Il est vrai que Politien, dans une de ses lettres, a raconté la scène d’une manière un peu différente. « Pic venait de se retirer, dit-il, lorsqu’entra Jérôme de Ferrare, homme d’une science et d’une sainteté remarquables, prédicateur éminent de la divine doctrine : il exhorte le malade à la foi, Laurent témoigne d’une foi profonde et sincère ; — il l’engage à prendre la ferme résolution d’une vie meilleure, Laurent y accède ; — il lui recommande enfin d’accepter avec résignation, s’il le faut, une mort prochaine, et le malade affirme que rien ne lui sera plus agréable, si Dieu l’a décidé ainsi. — Jérôme s’apprêtait à partir ; le malade lui demande sa bénédiction :