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principes, soit pour expliquer la marche qu’ils ont voulu suivre, soit pour excuser les infirmités de leurs conceptions. Quoi qu’il en soit des idées qui ont préoccupé M. Vaucorbeil, il nous faut convenir que cet artiste, si distingué d’ailleurs, n’a pas réussi dans la tentative hardie où il s’est laissé entraîner par des amis maladroits et par une trop grande confiance en ses propres forces. Il me semble plus que jamais que M. Vaucorbeil a une organisation fine qui tient plus de l’écrivain que du musicien, ce qui le trompe sur la portée des effets qu’il veut produire dans un art d’inspiration. Cette réflexion, que je crois juste, me rappelle une pensée excellente d’un charmant esprit frappé à la fleur de l’âge, M. Alfred Tonnellé, que je n’ai pu qu’entrevoir à son court passage dans la vie : « Plus on regarde les œuvres de Claude, dit-il, et surtout ses dessins, et plus on voit la pensée et la forme naître en même temps sur le papier ; plus on est convaincu que le véritable artiste pense toujours en peinture et en musique comme nous pensons dans une langue. Toutes les impressions vives, toutes les pensées grandes, nobles ou touchantes qui naissent en lui revêtent aussitôt une forme picturale ou musicale… C’est à cette condition qu’on est grand artiste. Si l’on a d’abord une pensée, une intention, quelque belle qu’elle soit, et qu’on se mette à travailler et à la traduire en sons ou en formes, on ne produit qu’un calque inanimé[1]. » Un froid bel esprit, comme il y en a tant parmi les écrivains de nos jours, disait à une femme supérieure qui connaît à fond tous les chefs-d’œuvre de la musique : « Mais votre Mozart était un homme bien simple, qui n’avait aucun esprit ! — Il a eu l’esprit de faire Don Juan, le Nozze di Figaro, le Requiem, et trente chefs-d’œuvre qui vous sont inconnus, monsieur ; mais il est vrai de dire que Mozart, pas plus que Raphaël, n’entendait rien à la critique littéraire, où vous êtes si savant et si habile. »

Il faut le proclamer bien haut, le Théâtre-Lyrique devient de plus en plus intéressant, et à chaque pièce nouvelle qu’il donne il prouve aux plus incrédules et aux plus malveillans qu’il est absolument nécessaire au développement de l’art national ! Où donc aurait-on pu entendre l’abominable pastiche de Peines d’amour, si le Théâtre-Lyrique n’avait eu le courage de mutiler ainsi un chef-d’œuvre de Mozart ? Voilà déjà un titre plus que suffisant pour mériter la subvention de cent mille francs qu’on a retirée au Théâtre-Italien, théâtre de luxe qui ne sert qu’à former le goût et à maintenir les belles traditions de l’art de chanter, sans lesquelles le Français, né trop malin, hurlerait encore comme du temps de Charlemagne.

Voulant sans doute donner raison aux législateurs patriotes qui croient que la France regorge de jeunes compositeurs pleins d’avenir qui ne demandent qu’à se produire à la clarté de la rampe pour émerveiller le public, le Théâtre-Lyrique a donné, le 1er mai, deux opérettes en un acte

  1. Fragments sur l’art et la philosophie, de M. Alfred Tonnelle, p. 242.