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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/486

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dont il faut bien parler. Sous ce titre : les Fiancés de Rosa, nous rencontrons d’abord une historiette assez égrillarde qui se passe à Londres, dans l’atelier de maître Smith, armurier fameux. Ce Smith a une fille, Rosa, qu’il ne veut donner en mariage qu’à un ouvrier habile qui pourra lui succéder et soutenir la renommée de sa maison. À cet effet, Smith ouvre un concours et fait annoncer à son de trompe que celui qui fera l’arme la plus solide, la mieux trempée et la plus souple, obtiendra la main de Rosa. Trois aspirans se présentent : l’ouvrier de la maison, Nigel, un certain George Halifax et un nommé Jenny, qui est une femme déguisée en homme pour surveiller la conduite d’un fiancé infidèle. Après bien des quiproquos, après avoir éprouvé l’habileté des trois ouvriers, Smith proclame, non sans avoir beaucoup hésité, que Jenny a emporté la palme, et que par conséquent il sera son gendre. C’est alors qu’on découvre que Jenny est une noble dame éprise de George Halifax, comte écossais et brillant cavalier qui a été forcé de se déguiser aussi pour échapper à ses nombreux créanciers. Je n’ai pas besoin de dire qu’un double mariage met fin à l’incertitude de l’armurier Smith et à celle du public, qui a écouté ce conte de M. Adolphe Choler avec un peu d’impatience à cause de certaines allusions équivoques qu’on aurait dû s’épargner. Qu’on me permette ici un petit a parte.

Il y a trente ans au moins que je rencontrai dans la ville du Mans un homme aimable qui était un grand amateur de musique. Il se prit d’un goût assez vif pour moi, et me proposa d’aller passer quelques jours à sa maison de campagne. Je cédai à son désir, et je le suivis à la Cour du Bois, charmante résidence située à une demi-lieue de la petite ville de Mamers. Je fus reçu dans cette famille distinguée par une femme excellente, d’un esprit très cultivé, et qui aimait aussi les arts et la littérature, dont elle s’occupait avec passion. Elle écrivait même des romans dont elle m’a lu quelques pages noblement émues. Elle avait une petite fille qu’elle élevait avec une sollicitude éclairée, et qui répondait à ses soins. Puis il y avait un fils qui était moins facile à diriger. Ce n’est qu’avec peine qu’il me fut permis de me soustraire à la douce hospitalité de cette excellente famille, et depuis je n’ai revu que le fils. Eh bien ! la petite fille dont je viens de parler, et qui tournait si gracieusement autour d’un guéridon sur lequel sa mère écrivait, est aujourd’hui Mme Clémence Valgrand. C’est elle qui a composé la musique du petit opéra les Fiancés de Rosa. On comprendra, après ce récit, que, retenu par le respect du souvenir et décidé à ne pas troubler la joie d’une femme du monde qui s’amuse un peu à nos dépens, je m’abstienne d’apprécier une œuvre qui n’est pas trop de mon ressort. Averroès, le philosophe arabe, a dit quelque part : « Les femmes diffèrent des hommes en degré et non en nature. Elles sont aptes à tout ce que font les hommes, guerre, philosophie, etc., seulement à un degré moindre. Quelquefois elles les surpassent, comme dans la musique, si bien que la