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et sociales différentes de celles où se trouvaient la Ruthénie et la Pologne.

II.

Les grandes invasions des Tartares et des Mongols suivirent d’assez près la consolidation et les premières tentatives d’expansion du duché de Souzdal, de ce nouvel état oriental habité par des Finnois que nous appellerons désormais la Moscovie. En 1224, les Tartares remportèrent, près de la rivière de Kalka en Ukraine, une grande victoire sur les princes ruthéniens qui s’étaient réunis pour combattre l’invasion. Il est à remarquer que les princes de la Moscovie refusèrent de s’associer à cette première croisade de la chrétienté orientale contre la barbarie asiatique. En 1237, les Tartares envahissaient la Moscovie, où ils devaient rester deux siècles. En 1239, ils prenaient Kiev. En 1240, ils inondaient la Pologne et la Hongrie ; mais après le grand combat de Lignitza, en Silésie, ils rétrogradèrent et ne firent dans ces deux pays que de courtes apparitions, tandis que leur domination continuait en Ruthénie et s’appesantissait principalement sur la Moscovie. La horde tartare ne dépossédait pas les princes régnans ; elle envoyait auprès d’eux des baskaks pour la collection des impôts. Ces baskaks étaient les vrais rois du pays et les représentans de cet esprit tartare qui étouffe toute indépendance, toute civilisation et toute poésie.

Qu’advint-il alors de la Moscovie ? Arrivé à cette époque, l’historien Lelewel s’écrie : « C’est un pays à part, n’ayant rien de commun avec l’histoire que nous racontons, et c’est pourquoi nous ne nous occuperons plus de cette excroissance anormale ! » M. Soloviev, qui est Russe et professeur d’histoire à l’université de Moscou, constate que ce n’est pas l’invasion tartare qui sépara la Moscovie des Ruthéniens, puisque cette séparation existait déjà. Nous en avons indiqué la cause, et en effet, si la Moscovie dès l’origine n’eût été finnoise, c’est-à-dire asiatique, l’on ne s’expliquerait pas que la domination tartare s’y fût si promptement et si complètement acclimatée, tandis qu’elle ne devait ni s’installer ni laisser aucune trace de son passage dans la Ruthénie, dont la population est slave. Ce ne sont pas les Polonais qui ont imaginé cette différence pour les besoins de leur cause. Le sujet est assez grave pour que l’on expose ici ce qu’en dit Karamsine, l’historien officiel de la cour de Saint-Pétersbourg. Il n’y a d’ailleurs rien d’aussi précis, rien d’aussi caractéristique dans les écrits hostiles à la Russie.

« Les envoyés de la horde représentant la personne du khan faisaient ce qu’ils voulaient en Russie (Moscovie). Les marchands, même les vagabonds