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mongols, nous traitaient comme de vils esclaves. Quelle en dut être la conséquence ? La dégradation morale des hommes. Oubliant la fierté nationale, nous apprîmes les basses finesses, les ruses de l’esclavage qui sont la force des faibles ; en trompant les Tartares, nous nous trompions encore plus les uns les autres ; en nous rachetant au poids de l’or de l’oppression des barbares, nous devînmes beaucoup plus avides et beaucoup moins sensibles aux offenses, à la honte, exposés que nous étions aux violences des tyrans étrangers. Depuis le temps de Basile Yaroslavitch jusqu’à celui d’Ivan Kalita, notre patrie ressembla plutôt à une noire forêt qu’à un état ; la force paraissait être le droit… Et quand cette terrible anarchie commença de disparaître,… il fallut recourir à une sévérité inconnue aux anciens Russes… Le joug des Tartares introduisit les peines corporelles… Il se peut que le caractère actuel de la nation offre encore des taches qui lui ont été imprimées par la barbarie des vainqueurs.

«… Si, après deux siècles d’un tel esclavage, nous n’avons pas perdu tout sentiment moral, tout amour de la vertu, de la patrie, rendons-en grâces à la religion.

« La constitution intérieure de l’état se trouva changée ; tout ce qui était fondé sur d’antiques droits civils ou politiques s’éteignit. Après avoir rampé dans la horde, nos princes s’en retournaient chez eux comme des maîtres terribles, car ils commandaient au nom d’un suzerain absolu. Ce qui n’avait pu se faire du temps de Yaroslav le Grand, ni de celui d’André et de Vsevolod III, fut accompli du temps des Mongols sans difficulté et sans bruit. À Vladimir ni nulle part, excepté à Novogorod et à Pskov, ne retentit plus le son de la cloche du Vetché, cette manifestation de la souveraineté populaire, manifestation souvent tumultueuse, mais chère aux descendans des Slavo-Russes. Ce droit des anciennes villes n’était plus connu des villes nouvelles, comme Moscou et Tver, qui devinrent importantes pendant la domination des Tartares. »


L’ouvrage du prince Troubetzkoï, la Russie-Rouge, est spécialement consacré à combattre les idées des Polonais sur la Ruthénie. L’auteur n’est guère moins explicite que Karamsine sur l’influence de la domination tartare en Moscovie :


« Le clergé russe (moscovite), protégé par les Tartares et devenu malheureusement leur auxiliaire pendant cette triste époque, ne sut prêcher à sa patrie opprimée que la soumission à un pouvoir établi par la violence, oubliant complètement les préceptes de l’indépendance et du patriotisme. Subissant l’influence de leurs oppresseurs, les Russes (Moscovites) perdirent les vertus généreuses de leurs ancêtres. La Russie (Moscovie), oubliée par les nations, qui de plus en plus marchaient dans la voie de la civilisation, se trouvait assimilée à ces barbares que leurs chefs conduisaient comme des troupeaux. Devenant aussi tartare elle-même, sans caractère et sans vigueur, notre malheureuse patrie arrivait à subir la tyrannie de Groznoï (Ivan le Terrible). Sombre époque, où la Russie, complètement dénationalisée, allait s’endormant de plus en plus dans une léthargie asiatique dont elle fut réveillée par le génie de Pierre le Grandi Alors la nationalité