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m’ont unanimement répondu qu’ils avaient été obligés d’y renoncer à cause de l’incroyable sans-façon que ces sauvages apportaient dans leur service. Venaient-il à regretter leurs forêts, ils quittaient la maison sans mot dire à personne, retournaient dans les bois, se construisaient une hutte avec quelques pieux fichés en terre et quelques feuilles de palmier, et là se reposaient de leurs prétendues fatigues, n’interrompant leur far niente que pour cueillir quelques fruits ou pêcher quelques poissons. Puis un jour, après deux, trois, six mois d’absence, saturés de vie sauvage, ils venaient reprendre leur travail comme s’ils l’avaient quitté la veille, et ne comprenaient pas que le maître parût étonné de les apercevoir et leur demandât des explications. Ils continuaient ainsi leur besogne pendant quelque temps ; mais, bientôt fatigués une seconde fois de la vie civilisée, ils s’échappaient sans bruit de la plantation pour aller se refaire dans les forêts et reparaître l’année suivante. Ces escapades avaient surtout lieu le jour où ils recevaient leur solde. Il va sans dire que tout cet argent passait à acheter de la cachaça, et que ce n’était qu’après en avoir cuvé les dernières fumées que l’ancien maître leur revenait en mémoire.

Une population d’humeur si indolente est peu propre aux travaux de l’agriculture, plus pénibles partout que le service de l’intérieur d’une maison. Aussi ne pourra-t-on jamais compter sur cet élément pour la colonisation du pays. Il y a cependant de ces demi-sauvages qui se donnent le titre de cultivateurs, parce qu’ils ont abandonné l’arc de leurs ancêtres, et qu’ils consentent à semer un peu de manioc et de maïs pour nourrir leur famille. Dès que ce travail, qui ne dure que quelques jours, est achevé, ils rentrent dans leurs huttes de bois et d’argile, se couchent sur leurs nattes de jonc et passent le reste de l’année dans une immobilité absolue, pinçant de temps en temps pour se distraire une mauvaise guitare qu’ils ont toujours à côté d’eux, car la musique est une de leurs passions favorites. Bien que les forêts qu’ils habitent soient les demeures séculaires de leurs aïeux, ils n’y sont guère en sûreté, quand ils se trouvent dans le voisinage d’une ferme. Alors il arrive souvent que le colon vient mettre le feu aux arbres pour préparer ainsi un nouveau champ de caféiers qui doit remplacer les plantations épuisées. Notre peau-rouge prend alors sa guitare, qui constitue tout son mobilier, et va construire une autre cabane dans les montagnes voisines. Les choses toutefois ne se passent pas toujours aussi paisiblement. Il n’y a pas longtemps que dans la province de Minas une de ces expropriations forcées faillit tourner au tragique et coûta assez cher au fazendaire.

Ce fazendaire, un des plus riches propriétaires de la contrée,