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avait d’immenses étendues de forêts vierges qu’ils n’avait jamais visitées que pour chasser le tapir ou le bœuf sauvage. Un de ses voisins, désirant faire une plantation de café, vint un jour le prier de lui vendre les deux revers d’une colline, dont la situation semblait promettre de magnifiques récoltes. C’était une excellente affaire pour le propriétaire, qui, faute de bras suffisans, n’espérait pas retirer une obole de cette partie de son domaine. La vente fut donc bientôt conclue au prix de 10 contos de reis (25,000 francs). Comme cette montagne, très vaste d’ailleurs, n’avait jamais été explorée, grande fut la surprise de l’acquéreur lorsque ses nègres, envoyés pour le défrichement, vinrent lui raconter qu’ils avaient trouvé au milieu des bois des hommes sauvages (gente do matto) établis dans des huttes, et qui paraissaient les regarder de très mauvais œil. Notre homme alla aussitôt se plaindre à l’ancien propriétaire, disant qu’il avait cru acheter une forêt vierge et non une colonie d’Indiens, et que, ne pouvant en prendre possession, il renonçait à l’achat. Le fazendaire promit de faire déguerpir ses anciens locataires. Il envoya en conséquence son garde champêtre intimer l’ordre aux peaux-rouges d’aller planter leurs cases ailleurs. Ceux-ci, ayant eu vent de l’affaire, s’étaient concertés ; ils répondirent qu’étant de père en fils et de temps immémorial les enfans de la forêt, ils se croyaient les véritables possesseurs du sol. Comme cette réponse était accompagnée de menaces et de gestes peu rassurans, le messager, jugeant qu’il serait inutile d’insister, vint raconter à son maître le résultat de sa mission. Il fut alors résolu qu’on ferait une battue dans la montagne avec tous les nègres de la plantation, afin de mettre le feu aux huttes des Indiens, de dévaster leurs champs de manioc et de les forcer ainsi à déloger ; mais ces derniers étaient sur leurs gardes depuis la sommation, et lorsque les nègres arrivèrent, ils furent arrêtés par des retranchemens formidables d’où partaient des traits invisibles qui les forcèrent bientôt de s’enfuir. L’affaire devenait grave. Le fazendaire s’était engagé à déblayer la place, et d’ailleurs son amour-propre était en jeu. Il eut donc recours aux grands moyens et s’adressa au juge de la comarca (canton) pour obtenir, à l’aide des autorités de la province, l’expulsion de la sauvage colonie. Après une instruction régulière de l’affaire, un bataillon d’infanterie fut envoyé pour enlever de vive force la citadelle improvisée. Il s’était écoulé près d’un an depuis le premier assaut, et les Indiens, se croyant débarrassés pour toujours de leurs adversaires, avaient fini par ne plus veiller aux barricades. Ils reposaient donc tranquillement dans leurs cabanes lorsqu’une décharge de mousqueterie vint les avertir qu’on ne les avait pas oubliés. Au même moment, une nuée de soldats s’abattit sur leurs frêles