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qui l’enchaînaient à la nature. Quoique enveloppé dans des mythes différens, le culte contribuait toujours à former une société où le peuple, acceptant avec une résignation aveugle la nécessité des causes qui l’opprimaient, se faisait une religion de sa faiblesse et de ses terreurs.

En passant de l’Égypte et de l’Assyrie à la Grèce, le visiteur éprouve cette sorte de soulagement qu’il a déjà connu tout à l’heure en quittant dans les bassins géologiques les étranges reptiles de la formation tertiaire, — rêves pénibles de la terre durant sa période d’enfance, — pour des animaux qui se rapprochaient davantage des formes présentes de la vie. Il s’éloigne en effet des chimères et s’avance vers la réalité. À l’âge ténébreux des monstres et des dragons, à la morne immobilité des dieux et des sphinx, à un art gigantesque et assombri par une religion taciturne, succède tout à coup pour lui le rayonnement de la beauté. Il s’en faut pourtant de beaucoup que ce changement ait été aussi soudain dans l’histoire ; on retrouve au sein de l’architecture égyptienne des germes et des prototypes qui ont été plus tard fécondés, développés par l’art des Grecs[1] ; il est même probable que cette transition nous semblerait infiniment moins brusque, si nous possédions les monumens primitifs qui caractérisaient l’enfance du génie hellénique. La vérité, c’est que la Grèce, surtout à l’origine, tenait encore par certains liens religieux et poétiques à l’antique Orient ; mais elle s’en détache par une organisation sociale plus libre, par des mœurs plus douces et par des dieux plus humains. Pour indiquer une des causes de ce progrès, peut-être eût-il fallu exprimer mieux encore qu’on ne l’a fait au Palais de Cristal le changement des climats. M. Owen Jones, chargé de décorer la cour grecque (greek court), n’a point suivi tout à fait le même système qui avait été adopté pour l’Égypte et pour l’Assyrie : ici les monumens devenaient plus certains et mieux connus ; il s’est alors contenté de les réunir et de les exposer, tout en les encadrant dans un milieu qui pouvait aider à l’illusion. On entre tout d’abord par une façade d’ordre dorique dans l’intérieur d’un agora ou forum grec, qui servait de marché et aussi de rendez-vous pour les solennités publiques. Ce qu’il y a surtout d’inventé dans cette décoration de théâtre, destinée à mettre en scène un peuple de statues, est la couleur dont on a revêtu les principales lignes d’architecture. Ces surfaces bleues, rouges ou jaunes, blasonnées d’or, donnent assez bien, il est permis de le croire, une idée de la manière dont les Grecs entendaient l’ornementation des

  1. C’est ainsi que la colonne droite et sans ornement du premier âge de l’Égypte a servi de modèle primitif à la colonne d’ordre dorien.