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être de ne point indiquer assez clairement ce que Bossuet appelait la trace de la main de Dieu. Cette trace, ce plan divin et providentiel de l’histoire, c’est à la conscience de chacun de le découvrir sous le voile des événemens, des lois naturelles, et sous les évolutions de l’humanité.

Des institutions auxquelles nos voisins donnent volontiers le nom de palais du peuple, peoples palaces, n’ont-elles d’ailleurs rien à nous apprendre sur la société anglaise ? N’opposent-elles point un éclatant démenti à de fausses idées généralement répandues en-deçà du détroit ? On a trop légèrement représenté la Grande-Bretagne comme une nation aristocratique. À en croire certains écrivains, la liberté ne se maintiendrait en Angleterre que parce qu’elle s’appuie sur une forte division des classes, sur les gloires d’une noblesse séculaire, sur l’abaissement et l’ignorance de la multitude. Si telles étaient vraiment les conditions essentielles à la liberté, beaucoup hésiteraient à se couvrir de son drapeau. Heureusement c’est tout le contraire qui est vrai. Je ne nie point que les Anglais ne pratiquent et n’honorent la hiérarchie sociale ; mais c’est à la liberté qu’ils s’adressent pour limiter le poids de certaines influences et pour élever la classe la plus nombreuse en l’éclairant. Où trouverait-on ailleurs des palais d’éducation bâtis, non par la main des gouvernemens, mais avec l’argent des contributions volontaires ? Dans quel pays l’ouvrier a-t-il à sa disposition, comme Louis XIV, ses grandes eaux de Versailles, son parc tout peuplé de statues, son château de plaisir où il vient se promener pour 1 shilling, avec sa femme et ses enfans, au milieu de toutes les splendeurs de l’art, de tous les enseignemens de l’histoire. Le monarque le plus absolu eût peut-être hésité à donner une telle éducation princière à son fils. On me dira que la classe inférieure ne jouit point seule de ces avantages. Non sans doute, ce palais a été construit pour tous ; mais n’est-ce point une idée libérale que de réunir toutes les conditions de la société, depuis le pair d’Angleterre jusqu’au maçon, sur le terrain neutre des nobles plaisirs et de l’instruction ? Les gouvernemens qui craignent le peuple n’agissent point ainsi : ils lui ouvrent volontiers la large voie des divertissemens grossiers et matériels, sachant bien que les multitudes abruties sont plus faciles à conduire. Aux césars il faut le Colisée et les tavernes de Rome. Seule, la liberté est plus morale : comme elle tient à honneur de régner sur les esprits, elle ouvre volontiers au million, ainsi que disent les Anglais, les perspectives de l’idéal et les voies du progrès.


ALPHONSE ESQUIROS.