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l’accusait, et qui, elle le sentait, devait l’élever au-dessus de ses pareilles. — On prétend que je suis blanche comme la neige, nous disait-elle en riant. C’est possible ; mais ce qui est sûr, c’est que je suis aussi froide qu’elle.

— C’est bien ; mais gare au soleil, gare à l’amour !

— Oh ! ce soleil n’est pas encore levé pour moi et ne se lèvera pas de si tôt.

— Tant mieux, car, ne l’oubliez pas, sous son ardeur la neige se fond, et que reste-t-il ?…

Elle répondit par un petit geste de défi. Quant à Walther, il comprenait bien que nous voulions éloigner le danger qui menaçait son repos, son avenir, sa dignité ; mais il nous savait peu de gré de nos bons avis et de nos sages propos.

Une autre fois elle nous dit qu’un sculpteur, pour lui prouver la puissance de l’amour, lui avait raconté l’histoire de Pygmalion. — Quant à moi, ajouta-t-elle, je vous réponds que, si j’avais été la statue, je serais restée de marbre.

Hélas ! pauvre créature, que n’a-t-elle fait comme elle disait ! et pourquoi est-elle descendue de son piédestal ?

Elle ne parlait pas ainsi par coquetterie. Elle se croyait réellement invulnérable. Elle s’imaginait connaître toutes les séductions, tous les périls, et elle se sentait de force à y résister. Et cependant ses paroles, qui désolaient notre ami, étaient loin de nous rassurer.

Dans les premiers jours d’octobre, les artistes revinrent à Rome les uns après les autres. Je vis ceux à qui j’étais recommandé et qui étaient aussi liés avec Walther. On voulut nous mener à Tivoli en joyeuse compagnie, et Marina fut de la partie. On passa tout le jour à visiter les environs de la petite ville. Malgré le proverbe italien de mauvais augure :

A Tivoli di mal conforto
Tira il vento, piove o suon ’a morto,


le temps fut splendide, et on en profita pour faire la tournée classique à la villa d’Adrien, aux cascatelles et aux grottes. Vers le soir, on fit dresser la table du souper sur la terrasse de l’Hôtel de la Sibylle, près de ces ruines du temple de Vesta qui font de ce lieu l’un des plus charmans du monde. Là tous les souvenirs de l’antiquité se réveillent aussitôt dans l’esprit, et l’on se sent transporté au temps où Mécène et Horace aimaient à visiter ce délicieux séjour. Se rappelant les festins chantés par le poète romain, nos amis s’amusèrent à tresser les fleurs cueillies dans la montagne pour en couronner les fronts et les verres. Les Lydies et les Chloés de nos