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de longs mémoires, assez bien accueillis, où il recommande « de grands coups d’autorité contre les parlemens ; » il se soumet de bonne grâce à la dissolution de la conférence de l’entre-sol, sorte d’académie politique dont il était l’un des membres les plus actifs, et où « l’on se mêlait de trop de choses, » au dire du vieux cardinal. On lui sait gré de ses vigoureux conseils et de sa sage obéissance, on lui demande de nouveaux mémoires contre le parlement ; son esprit s’échauffe, il les fait suivre de communications sans nombre sur les tailles, sur les magasins de blé, sur les ponts et chaussées, sur la cavalerie française, sur les affaires étrangères. Sans adopter toutes ses idées, Chauvelin reconnaît que l’imagination de ce fécond faiseur de projets est une mine à exploiter ; il l’encourage donc, il caresse sa vanité, il fait miroiter devant lui les plus hautes charges de l’état. Le garde des sceaux prend aussitôt aux yeux de d’Argenson les proportions d’un grand politique : ce n’est plus un fourbe, ce n’est plus un cafard, ce n’est plus un égoïste ; c’est un galant homme qui a des maîtresses, c’est « son meilleur ami ! »

Cependant l’avancement ne vient pas, et cinq années se passent ainsi dans une vaine attente. Arrivent la disgrâce et l’exil de Chauvelin (1737) ; d’Argenson alors songe un instant, non sans quelque embarras de conscience, à remplacer son ami comme ministre des affaires étrangères ; mais le cardinal ne lui laisse pas le temps de nourrir ces mauvaises pensées, la place est immédiatement donnée à M. Amelot, et d’Argenson n’obtient que l’ambassade de Portugal. C’était déjà beaucoup aux yeux de Fleury, qui soupçonnait le marquis d’être resté trop fidèle à Chauvelin. Et en effet d’Argenson avait beau s’imposer comme règle de conduite de renoncer à toutes « liaisons » avec le remuant exilé et de ménager le tout-puissant octogénaire ; il ne pouvait s’ôter de l’esprit que la succession du premier ministre était près de s’ouvrir, et que Chauvelin reviendrait au pouvoir après la mort du « vieux tyran, » peut-être même plus tôt. Il croyait savoir que Bachelier, le premier valet de chambre du roi, était secrètement chauveliniste, que « les domestiques particuliers de sa majesté s’attendaient à voir leur faveur succéder bientôt à celle des domestiques du cardinal, » et il partageait leur attente. En effet, « Louis XV approchait de trente ans, » se disait-il ; après une bien longue assiduité auprès de la reine, le jeune roi avait « pris une maîtresse avec laquelle il vivait joliment ; » il commençait enfin à secouer le joug moral du ministre pédagogue, « à se montrer homme de tous points, à devenir les délices de ses sujets. » Le parti du valet devait être le parti de l’avenir, parti patriote, Dieu merci, qui lui « faisait grand accueil, » à lui d’Argenson, et dont le chef, Bachelier, lui paraissait « un homme solide, un esprit ferme et porté à la vertu. » Bachelier passait, il est vrai, pour le