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auparavant, « le plus beau et le plus grand de l’histoire de France ; » il n’est plus défavorable à l’opposition des parlemens ; il commence à sentir la nécessité de mettre un frein au pouvoir absolu. Écoutez-le parlant en 1763 de « la position critique et fort compliquée où se trouve l’état en général. » C’est une des dernières pages de ses mémoires, et ce n’est pas la moins instructive. « Si on parvient, dit-il, à diminuer l’autorité des parlemens et leurs prétendus droits, il n’y aura plus d’obstacle à un despotisme assuré ; si au contraire les parlemens s’unissent pour s’y opposer par de fortes démarches, cela ne peut être suivi que d’une révolution générale dans l’état. » Voilà la périlleuse situation à laquelle aboutissent les peuples qui perdent l’habitude de surveiller et de contenir régulièrement le pouvoir ; lorsqu’ils sentent le besoin de « mettre obstacle au despotisme, » la résistance n’est plus possible sans révolution.


Catholique fervent et grand seigneur, le duc de Luynes était mieux défendu que Barbier contre la contagion de l’esprit nouveau. Son cœur se détacha cependant du roi bien avant celui de Barbier. Disciple et petit-fils de cet austère duc de Chevreuse qui, dans la société du duc de Bourgogne, avait longtemps rêvé la régénération du pays et la purification de la cour par un successeur de Louis XIV, élevé dans le culte de la vertu et de l’étiquette, fort assidu à Versailles, mari de la dame d’honneur de la reine et fidèle courtisan de cette malheureuse princesse, le duc de Luynes était presque tous les jours choqué par la conduite et la tenue de Louis XV. Bien qu’il fût assez pénétré du respect dû à la personne royale pour regretter l’ancien usage de faire une révérence au lit du roi en passant dans sa chambre à coucher et à la serviette du roi en passant dans sa salle à manger, il ne pouvait s’empêcher de juger un prince qu’il aurait voulu adorer, de le trouver débauché, gauche, timide, familier, capricieux, désagréable, dur, indifférent aux affaires du royaume. Très réservé dans la conversation et convaincu que les plaintes « n’étaient utiles qu’à déplaire, et d’ailleurs ne pouvaient servir à rien, « il n’exprimait que rarement son blâme, et même dans son journal intime il se bornait habituellement à l’indiquer. Lorsqu’au bal de l’Opéra « sa majesté donne en différentes fois deux coups de poing à Mademoiselle, qui est étonnée de se voir ainsi traitée par un masque, » lorsqu’à Marly le roi, entrant chez la reine, ne fait aucune attention à elle et la laisse longtemps debout sans l’inviter à s’asseoir pendant qu’il parle à sa maîtresse Mme de Mailly, le duc de Luynes enregistre le fait sans se permettre la moindre observation. Il n’est pas moins sobre de paroles en racontant une « réponse de M. le maréchal de Villars au roi, qui mérite d’être remarquée, » écrit-il. « M. de Villars faisant sa cour au roi, sa majesté lui dit :