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sa carabine sur un passant, de ce duc de La Meilleraye qui cravachait un prêtre dans la rue, de ce prince de Carignan et de ce duc de Gèvres qui avaient chacun une maison de jeu dans son hôtel ; de cette Mme de La Tournelle qui chantait les chansons de Paris sur ses bonnes fortunes auprès du roi et sur celles de ses sœurs ; de ce roi qui dansait les rondeaux qu’on faisait sur ses ministres ; de ce ministre enfin, M. de Maurepas, qui, nous dit d’Argenson, « méprisait non-seulement Dieu, mais la divinité, non-seulement le roi, mais la royauté. » Il vivait à côté d’eux, et en dépit des princes et des puissans il respectait les principautés et les puissances ; il croyait non-seulement aux bienséances, mais à la morale ; il suivait non-seulement les prescriptions de l’étiquette, mais celles de l’église ; il jeûnait jusqu’à se rendre malade ; il était pieux, grave, humain, délicat ; il enseignait à son fils qu’il faut « céder à ses supérieurs sans bassesse, commander avec justice et douceur à ses inférieurs, estimer les gens vertueux, de quelque état qu’ils soient. » A une époque où chacune des maîtresses du roi avait trouvé une princesse du sang pour lui servir de complaisante, Mme de Luynes osait refuser ce poste auprès de Mme de La Tournelle. « Le roi me dit hier (8 novembre 1742) au grand couvert qu’il avait une commission à me donner, qui était de proposer à Mmes de Luynes et de Chevreuse d’aller à Choisy. Mme de Luynes a été, comme on peut le croire, justement peinée de cet arrangement, sentant toute l’indécence qu’il y aurait que la dame d’honneur de la reine servît en quelque manière à installer Mme de La Tournelle à Choisy ; elle a fait part ce matin de sa peine à M. de Meuse, qui dîne tête à tête avec le roi toutes les fois qu’il n’y a point de chasse, comme je l’ai marqué ci-dessus. M. de Meuse a pris le temps qu’il a cru le plus favorable pour en parler au roi, et s’est servi des termes les plus propres à adoucir cette représentation ; le roi a répondu d’abord avec humeur : « Eh bien ! elle n’a qu’à n’y point venir. » M. de Meuse a été ensuite une heure sans lui en reparler, après quoi, le roi lui ayant fait des questions sur ce qu’il avait fait ce matin, M. de Meuse lui a dit qu’il avait été voir Mme de Luynes ; il a ajouté qu’il ne lui rendrait pas la réponse que le roi avait faite, parce qu’elle serait sûrement très affligée, dans la crainte de lui avoir déplu ; que comme c’était de sa majesté qu’elle tenait sa place, c’était à lui aussi à juger si la représentation qu’il avait pris la liberté de lui faire de sa part était fondée ; que comme l’objet principal de Mme de Luynes était de faire ce qui lui serait agréable, elle exécuterait ce que sa majesté jugerait à propos par rapport à ce voyage. Le roi a été un moment sans répondre ; après quoi il a pris un visage riant, et a dit à M. de Meuse qu’il allât trouver Mme de Luynes et lui dire qu’elle ne serait point de ce voyage-ci, que ce serait pour un autre, et qu’il ne lui savait pas mauvais gré