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moraux et religieux, moyennant une certaine prudence et une circonspection obligée. De tous ces devoirs, celui des funérailles n’était pas le plus difficile à remplir. Tel était le respect des anciens pour les morts, telle était leur sainte horreur pour la privation de sépulture, qu’ils auraient rarement osé poursuivre jusque dans leurs restes inanimés les victimes égorgées par leurs mains. Ils ne poussaient point la vengeance jusqu’à laisser abandonnés aux oiseaux de proie les cadavres de ceux qu’ils avaient livrés vivans à la dent des bêtes féroces. Ils souffraient que des parens et des amis allassent pieusement recueillir les membres déchirés des confesseurs et des martyrs. Les actes et même les légendes nous montrent, dès que ceux-ci ont expiré, leurs restes transportés avec respect et saintement honorés. Dans la peinture du martyre de saint Hippolyte qu’on voyait au IVe siècle sur un des murs de la basilique de Saint-Laurent, un témoin oculaire nous certifie que l’artiste avait retracé les amis du saint ou ses frères en Jésus-Christ ramassant les débris de son corps en lambeaux et même épongeant son sang sur la poussière, afin que rien ne manquât à son tombeau[1]. La légende dit même qu’ils communièrent après l’avoir enseveli et furent mis à mort pour cela ; mais le tombeau subsista longtemps après l’événement, et il a été retrouvé. C’est sur cette tolérance inconséquente, fantasque, si l’on veut, du peuple romain qu’est fondée toute la vérité ou toute la vraisemblance, la possibilité même du culte des reliques. Comment une seule de celles des martyrs eût-elle échappé, si les païens n’avaient respecté les morts ?

Il paraît donc probable qu’ordinairement les morts chrétiens ont pu recevoir la sépulture chrétienne. La cérémonie n’avait pas sans doute toute la publicité, toute la solennité dont elle fut accompagnée plus tard : en fait de liberté, tout avait ses limites et ses périls ; mais précisément parce que les principaux rites funéraires ne se célébraient pas au grand jour, les entraves et les dangers étaient moindres. Dès qu’ils avaient commencé à descendre les degrés des catacombes, les chrétiens, grâce aux scrupules mêmes de leurs ennemis, étaient libres de rendre à leurs frères des honneurs ailleurs interdits, de prier en leur nom le Dieu qu’on leur défendait d’invoquer pour eux-mêmes, et d’annoncer du moins la vie nouvelle sur le tombeau des morts.

Qu’ils aient été parfois troublés dans l’accomplissement de ces devoirs ; que, poursuivis sur les places publiques, chassés de leurs maisons, traqués dans la campagne, quelques-uns aient cherché un refuge dans ces caveaux où leurs ennemis n’avaient pas coutume

  1. Prudence, Hymnes, XI. C’est, je crois, la première peinture avérée d’un martyre.